Réparation magnifiente dans le symbole et Tai Ping Hou Kui comme témoin

Par Vanessav
Certains jours me demandent plus de patience et de tendresse que d’autres.
Le petit lutin est toujours extrêmement attentif quand je sors mes « ustensiles » de thé. Je lui ai assez dit : les livres sont pour être lus et non peints ou réécrits ou encore découpés ou même… les petites marques de couleurs doivent rester à leur place. La bouilloire contient de l’eau très chaude, le paquet (ou la boite de thé) se renverse et le zhong est très fragile. Ses mains se font curieuses mais attentives, les paumes contre la bouilloire pour ressentir la chaleur de l’eau ou entourant le zhong pour se réchauffer. Les boites ouvertes bien droites, reniflées à même l’ouverture et reposées. Les livres ouverts à la marque page, remis sur la table, presque rangés.
Souvent il vient m’apporter le couvercle du zhong pour le sentir, encore tiède des infusions du moment. Oui, il est à bonne école pour les effluves du thé et de la liqueur et il en redemande. Cette fois, ce fut plus simple : la table basse était prise en partie par mon zhong vide et le petit d’homme voulait tout l’espace pour mettre ses dinosaures, les 9 en ligne. Il est donc venu me rapporter mon zhong à la cuisine, soucoupe encore sur la table, tasse et couvercle dans sa main… mais seule la tasse était bien tenue, le couvercle lui est tombé pendant le rééquilibrage jusqu’à la dépose sur le plan de travail, si haut, si haut.
Horreur, mon zhong en terre cuite avec son dragon et son phœnix bien abimé. Il m’a fallu beaucoup de tendresse, après une crise de larmes, pour prendre le loupiot dans mes bras et pour lui dire que j’allais bien et que j’aillais le… réparer.
« Qui oserais recevoir ses amis avec des assiettes disparates, ébréchées ou fêlées par le temps ? Pour les Japonais, c’est pourtant là signe de richesse et de raffinement. Des objets qui portent la trace du temps, qui ont longtemps servi, aux couleurs passés, sont l’émanation de vérités fondamentales : lorsqu’ils sont entre nos mains, ils nous content l’histoire de leur vie, les scènes auxquelles ils ont assisté, les multitudes de mets qu’ils ont connus. Ils ne possèdent ni la symétrie ni l’homogénéité des choses qui nous entourent habituellement ; ils heurtent l’esthétique du commun, ils ne sont pas qualifiés de design. Mais, à leur contact, nous ressentons comme un détachement vis-à-vis du monde high tech, conformiste et impersonnel. La fêlure d’une tasse, d’une porcelaine les distingue de toutes les autres, une veille cuillère en bois aide à percevoir les choses sous un angle nouveau, différent, nous rappelant qu’il n’est pas besoin d’avoir réponse à tout, que la beauté se trouve souvent dans le détail et se manifeste aussi dans l’imperfection. »
(extrait de « L’art de la frugalité et de la volupté » de Dominique LOREAU).

Les deux créatures surnaturelles si symboliques sont maintenant accompagnées, les fêlures, les cassures représentant aussi notre quotidien. Et puis, ce zhong est maintenant unique, fait de beaucoup de fantasmes maternels sur les dégustations à venir (thés verts chinois bien sûr), authentifié par les mains encore maladroites d’un petit d’homme en proie à son apprentissage de cette liqueur.
Recoller les morceaux mais aussi souligner la « casse » par une peinture comme laquée. J’ai en effet adoré cette réparation magnifiente à la feuille d’or faite par les chinois dont parlait Florizelle . A ma manière, maladroite mais volontaire, j’ai choisi du bleu émeraude profond …
Oui sur cette terre cuite d’une superbe couleur ce n’est pas du noir, le reflet est bien bleu… en espérant que le dragon et le phœnix continueront à se retrouver malgré cela pour donner vie à la lune.

Le Tai Ping Hou Kui n’a pas été gêné. Il était aussi savoureux que le jour où ses feuilles infusées sont restées collées au zhong cassé. Une odeur de thé très fruitée et iodée, celle des feuilles vertes aplaties, si belles, si grandes, très végétale et comme un soupçon de foin séché. Le goût ample, délicieux, comme de fleurs blanches.