Un employé qui contestait sa mutation fut, au terme d'une longue procédure devant les juridictions du fond, débouté par la Cour suprême de l'ancienne République Yougoslave de Macédoine. Celle-ci estima, de façon laconique et contrairement à sa jurisprudence passée, que l'employeur n'était pas tenu de justifier une telle décision de mutation.
Après unpremier constat de violation du droit à un procès équitable (Art. 6) du fait de la durée excessive de la procédure - plus de six ans avec de nombreux allez-retours entre les juridictions du fond - (§ 32), la Cour européenne des droits de l'homme condamne l'État défendeur pour les conditions dans lesquelles la Cour suprême a opéré le revirement litigieux. Certes, les juges européens rappellent qu'une " évolution de jurisprudence n'est pas, en soi, contraire à une bonne administration de la justice" car affirmer l'inverse serait "faillir à maintenir une approche dynamique et évolutive [ce qui] risquerait de faire obstacle à toute réforme ou amélioration" (§ 36). Cette position n'est d'ailleurs pas surprenante car c'est celle que la Cour s'applique à elle-même (V. par exemple Cour EDH, G. C. 15 octobre 2009, Micallet c. Malte, Req. n°17056/06, § 81 - Lettre droits-libertés du 16 octobre et CPDH 18 octobre). De plus, l'"exigence de la sécurité juridique et de protection de la confiance légitime ne consacrent pas de droit acquis à une jurisprudence constante" (§ 38 - V. Cour EDH, 18 décembre 2008, 5e Sect. Unédic c. France, Req. n° 20153/04, § 74 -Lettre droits-libertés du 3 janvier 2009 et CPDH du 4 janvier 2009 [l'un des billets les plus consultés de CPDH grâce à Isabelle Adjani et la sécurité juridique! ]). Cependant, au regard de l'exigence de justification des décisions de justice (§ 36), "dans les circonstances de l'espèce, [...] la présence d'une jurisprudence bien établie imposait à la Cour suprême le devoir de justifier de façon plus substantielle les raisons de cette rupture", notamment en "fournissant [au requérant] des explications plus détaillées" (§ 38).
Faute de respect en l'espèce de cette obligation de motivation, la Cour relève une violation du droit à un procès équitable (article 6).
Par cet arrêt, la juridiction strasbourgeoise donne un poids plus important à l'obligation de motivation des décisions judiciaires (V. l'opinion dissidente du juge Maruste qui souhaitait que prévale ici la liberté de l'État au nom du principe de subsidiarité. V. aussi l'arrêt cité § 38 - Cour EDH, G.C. 20 mars 2009, Gorou c. Grèce (N° 2), Req. n° 12686/03 -Lettre droits-libertés du même jour et CPDH du 23 mars 2009). Mais cette extension est circonscrite "aux circonstances spécifiques de l'affaire" et donc aux décisions constitutives d'un revirement de jurisprudence, d'autant que la Cour prend le soin de préciser que la "technique des raisonnements brefs/laconiques [" a technique of scarce reasoning "] utilisée par les plus hautes cours est, en principe, acceptable" (§ 38). Cette dernière affirmation conforte, notamment, les pratiques du Conseil d'Etat et de la Cour de Cassation en France même si le laconisme judiciaire trouve désormais une limite dans les cas où ces juridictions procèdent à un revirement de leur jurisprudence. Ces juridictions pratiquent d'ailleurs aussi la modulation des effets dans le temps des revirements (Cass. Ass. Plen., 21 décembre 2006 et CE Ass., 16 juillet 2007, Tropic Travaux) - ce qui a pour effet d'atténuer l'insécurité juridique liée à ce revirement.
La déesse de la justice Actualités droits-libertés du 15 janvier 2010 par Nicolas HERVIEUAtanasovski c. l'ancienne République Yougoslave de Macédoine (Cour EDH, 5e Sect. 14 janvier 2010, Req. n° 36815/03 ) - En anglais