Le soir du 25 décembre j’ai appris la nouvelle de la bousculade du pape Benoît XVI. J’ai tout de suite lié cela à la reconnaissance des “vertus héroïques” de Pie XII. Mais non, il s’agirait d’une simple groupie. Faire chuter une brochette de cardinaux octogénaires, ça peut devenir mortel à cet âge.
J’ai pu lire ça et là quelques commentaires d’internautes sur le site de grands quotidiens nationaux. Entre ceux qui s’émouvaient de ce nouvel attentat d’Anagni et les remarques haineuses des anticalottins, ça ne volait pas haut.
Je n’aime pas Benoît XVI. C’est un homme de dossiers, un théologien sans doute subtil dans l’art de la chicane, les bruits de couloir, bien peu charismatique. Esprit rationnel mais terriblement conservateur. Mais la barque de l’Eglise n’est pas facile à guider entre les courants libéraux et conservateurs. C’est pourtant le second qui domine. Pourquoi ? Parce que l’immense majorité des fidèles de l’Eglise vivent dans des pays aux sociétés traditionnelles et donc par essence conservatrices. Point de libéralisation des moeurs comme en nos pays. Dans certains pays d’Afrique, le catholicisme est en recul face à l’islam, ce qui crée des tensions entre divers groupes de population. Dès lors, cette religion se doit d’être irréprochable, et de montrer son efficacité d’intercession par rapport à la rivale, avec l’au-delà. Cette base posée, on comprend mieux certains actes et choix de Benoît XVI : anti avortement, anti mariage homo, anti capotes etc, bref, à l’encontre d’une bonne partie de mes opinions. Cela ne m’empêche pas de rester catholique, de l’assumer, quoique le culte marial m’irrite de plus en plus…
Maintenant, en ce qui concerne les critiques visant le Saint Siège, elles sont bénéfiques pourvu qu’elles permettent d’avancer dans un débat, et ce débat est la place de l’Eglise dans le monde, au coeur des problèmes de sociétés aussi diverses qu’il y a de pays et de peuples sur cette planète.
Quelques réflexions pour piqûre de rappel:
- Poser les problèmes de la capote ou du mariage homo au niveau Européen ou national c’est mal poser le problème. L’Eglise catholique est une église qui se veut universelle, présente sur les cinq continents. Le problème est donc à poser à l’échelle planétaire. Postulons. Dans la lutte contre le SIDA, l’abstinence au lieu de la capote parle plus à un paysan du Sahel qu’à un bobo de Saint-Ouen. Primo parce que la capote il n’a pas de quoi se la payer, et deuxio parce que dans une société traditionnelle, il y a sans doute un jeu complexe d’interdits, de tabous, de valeurs qui font que dans le paysan comprenne illico. L’Eglise, en s’évitant de tout syllogisme n’est donc pas perçu par bon nombre de ses fidèles comme rétrograde puisqu’ils se retrouvent dans les valeurs qu’elle promeut.
- Le problème de l’Eglise vient de sa structure même : donner l’illusion de l’autonomie des églises nationales tout en gardant un contrôle étroit sur les nominations aux évêchés. Pratique et habile. Pourtant, toutes les initiatives éclairées viennent de l’échelon local, de la paroisse. Cela dépend de la personnalité du prêtre, de son charisme, et des paroissiens eux-mêmes. D’où une dichotomie entre la hiérarchie supérieure catholique et la base des fidèles : la voix portée par le Saint Siège n’est pas toujours la voix de l’ensemble des croyants. Ils ne sont pas tous des béni oui oui, mais contrairement à jadis, les procédures d’excommunication sont de plus en plus difficilement justifiables, et aisément contournables (les Lefebvristes). La position du Pape n’est plus que spirituelle, mais il a une autorité morale et symbolique immense, bien au-delà de l’Eglise romaine et de l’Occident en général. De ce fait, la légitimité de ses opinions ou de ses écrits est prise, comme décision irrévocable et applicable. Or, je l’ai déjà dit, l’infaillibilité et l’autorité papale ne s’applique qu’en matière de dogme. Et pourtant, il s’agit de la principale discorde entre catholiques et protestants dans le dialogue oecuménique. L’obéissance due au pape par le clergé paraît choquante, mais la hiérarchie catholique, comme les fidèles doit suivre un ordre calqué sur la hiérarchie céleste dont la base est l’homme, son sommet étant Dieu. De même, en matière d’intercession, le fidèle peut-il demander aux saints ou à la vierge d’intercéder auprès de Dieu. Le prêtre est l’intermédiaire obligé entre Dieu et les hommes. Non pas guide, mais organe de transmission entre le Ciel et la Terre.
La position de l’Eglise, si avancée il y a, ne pourra qu’être modérée dans tous les dossiers suivis, afin d’éviter toute radicalisation de ses ailes progressistes et réactionnaires. Le risque serait de voir un étiolement voire un schisme d’une partie de l’église en désaccord avec l’orientation, progressiste ou conservatrice adoptée en concile ou par le pape lui-même. De ce fait, comment ne pas voir dans le pape un modérateur capable de ménager plusieurs sensibilités ? C’est bien ce que s’évertuait à faire Jean Paul II, du moins dans les premières années de son pontificat. Pour Benoît XVI, cela est beaucoup moins évident, il tente de rassembler, y compris dans les franges les plus illuminées des conservateurs, mais cela n’est pas sur que cela soit un atout pour l’Eglise. Si on venait à supprimer la fonction papale, il n’est pas sur que l’Eglise trouve encore une unité.
On confond politique et religion en sortant les grosses ficelles mémorielles, ce qui est paradoxal dans un pays comme le notre où les lois de 1905 ont évacué toute connivence entre les deux, du moins théoriquement. Une belle hypocrisie ! On agite le chiffon rouge d’une main et de l’autre on incite l’Eglise à se prononcer sur des sujets politiques, en attendant le moindre faux pas de sa part. L’Eglise française condamne la stigmatisation des étrangers voulue par le pouvoir en place, mais personne ne veut l’entendre. En revanche, lorsqu’il s’agit de sujets de santé comme le refus de promouvoir la capote tout le monde s’en offusque.
Foule de jeunes attendant Jean-Paul II, Journées mondiales de la Jeunesse, Rome, via della Conciliazione, photo perso, août 2000
Revenons à Pie XII. Sur les nombreuses maladresses effectuées sous son pontificat, car quoi qu’on en dise le pape n’est pas infaillible sauf dogmatiquement, la promulgation des vertus héroïques de Pie XII est sans doute la moins mauvaise, mais dans le contexte d’une exacerbation des mémoires communautaires, celle-ci vient comme un cheveu sur la soupe.
Pie XII, n’est peut être pas le plus mauvais des papes, mais on lui reproche son “silence” pendant la Seconde guerre mondiale. Silence qui ne l’a pas empêché de sauver discrètement de nombreuses vies, peut-être d’atténuer le sort des Juifs en Italie. Sur le fond je ne me prononce pas, et je reste prudent, au milieu du ruisseau puisque : je ne suis pas contemporanéiste mais moderniste, et je suis assez peu documenté sur ce sujet. D’autres ne se privent pas de s’ériger en censeur . Certains insistent sur la légende noire de Pie XII dont par la pièce de théâtre le Vicairede Rolf Hochhuht sortie en 1963 est l’instigatrice ; mais le pape a aussi ses défenseurs. Et en règle générale ils ne sont pas historiens. Je mentionne le cas de Koz, avocat de son état, qui a récemment publié un billet sur son blog défendant Pie XII, solidement étayé par des documents. Koz est un fervent catholique, et un des grands noms de la blogosphère française.
Sur la forme, je trouve dégueulasse de discréditer un homme décédé 60 ans après des faits que la plupart des critiques ignorants ou semi-ignorants n’ont pas vécu où ne prennent pas la peine de se documenter pour avancer leurs accusations… Koz pense que les critiques virulentes depuis l’annonce du pape de la béatification annoncée de Pie XII ne sont que l’une des attaques d’opposants à l’Eglise en général en tant qu’institution, et à Benoît XVI comme étant son chef. Les journalistes, se contentent de reprendre bêtement tous les poncifs sur les silences de Pie XII et montrent en Benoît XVI non pas un pape conservateur (ce qui n’a rien de choquant) mais un pape quasiment fasciste, ce qui est totalement faux (refus de s’engager chez les SS, désertion de la wehrmacht) et en contradiction avec les valeurs défendues par l’Eglise depuis le XIXe siècle (voyez l’encyclique Rerum Novarum de Leon XIII, et la constitution pastorale Gaudium & Spesdu concile Vatican II).
Sur Pie XII, L’historien ne juge pas, il tente de comprendre, de chercher la vérité. Il faut donc trouver l’origine de ce silence et d’une supposée. Il est facile de critiquer a posteriori, mais en recontextualisant le tout, qu’aurait-il pu faire d’autre ? Là encore, je renvois le lecteur au billet de Koz. Je ne veux pas défendre Pie XII, mais certaines preuves avancées depuis peu rendent sa position plus compréhensible, et là aussi, je ne juge pas, je cherche juste à comprendre.