D.T. Suzuki nous donne l'équation fondamentale de l'amour:
zéro = infini et infini = zéro
A partir de la vacuité, de l'Innocence du point zéro surgissent toutes les vertus.
Il écrit :
"C'est à partir de ce zéro que tout bien s'accomplit et que tout mal est évité. Le zéro dont je parle n'est pas un symbole mathématique. C'est l'infini, un dépôt ou une matrice de tout bien ou de toutes valeurs possibles"
La vacuité parfaite est la plénitude parfaite; l'innocence de la vacuité est en même temps la connaissance. C'est dans la pauvreté absolu du rien que se trouve l'amour parfait. Si on pense connaitre les valeurs morales sans l'expérience de la vacuité, on risque d'avoir une vision égoïste du bien et du mal ; une perspective duelle.
Mais si on s'ancre dans la vacuité, naturellement l'acte sera plus juste car innocent.
La vacuité bouddhiste correspond à la pauvreté chrétienne, mais cette pauvreté n'est pas d'argent mais de moi. Le moi est absent.
Suzuki écrit :
"Le concept métaphysique de la Vacuité peut se traduire en termes d'économie par la pauvreté ; être pauvre, ne rien posséder : « Heureux les pauvres en esprit. » Eckhart donne la définition suivante : « C'est un homme pauvre qui n'a besoin de rien, qui ne sait rien et qui n'a rien » (cf. Blakney, p. 227). Cela est possible quand un homme est vide de « soi-même et de toutes choses », quand l'esprit est totalement purifié de la Connaissance ou de l'Ignorance que nous possédons après la perte de l'Innocence. Autrement dit, recouvrer l'Innocence est être pauvre. Il est frappant et assez étrange qu'Eckhart représente un homme pauvre comme ne sachant rien. Cette assertion est d'une grande portée. La Connaissance commence quand l'esprit est rempli de toutes sortes de pensées entachées, dont la pire est celle du « moi ». Car tous les maux, toutes les pollutions partent de notre attachement à ce moi. Comme diraient les bouddhistes, la réalisation de la Vacuité n'est ni plus ni moins que de se pénétrer de la non-existence d'un moi substantiel.
C'est la plus grande pierre d'achoppement de notre discipline spirituelle, qui, en réalité, consiste non pas à se débarrasser du moi, mais à bien se rendre compte qu'il n'y a pas, dès le départ, de semblable existence. Cette prise de conscience signifie être « pauvre » en esprit. « Être pauvre » ne signifie pas « devenir pauvre » ; « être pauvre » signifie n'être, dès le début, en possession de rien et non pas se démunir de ce que l'on a. Rien à gagner, rien à perdre ; rien à donner, rien à prendre ; être simplement tel quel, et pourtant être riche de possibilités inépuisables — c'est là être « pauvre » au sens le plus propre et le plus caractéristique du mot, et c'est ce que nous disent toutes les expériences religieuses. N'être absolument rien, c'est être tout. Quand on est en possession de quelque chose, ce quelque chose empêchera toutes autres choses d'entrer."
Le vrai don n'est pas le don de quelqu'un, mais un jaillissement de la vacuité.
"Le don authentique consiste à ne nourrir aucunement la pensée que quelque chose sort de vos mains pour être reçu par quelqu'un d'autre ; c'est-à-dire que dans le don il ne doit y avoir aucune pensée d'une personne qui donne ou d'une personne qui reçoit, non plus de quelque chose qui fait l'objet de cette opération."
Comme exemple d'amour et d'innocence, Suzuki raconte cette histoire, si touchante je trouve :
"Je me rappelle qu'il y a quelques années, lisant des histoires de pieux bouddhistes, je tombai sur celle de certain fermier. Un soir, il entendit du bruit dans le jardin. Il remarqua un jeune homme du village en train de voler ses fruits dans le haut d'un arbre. Il alla en catimini chercher une échelle, qu'il plaça sous l'arbre afin que l'intrus pût redescendre en toute sécurité. Il partit se recoucher sans avoir été remarqué. Le cœur de ce fermier, vide de toute idée de soi ou de possession, ne pouvait songer à rien d'autre qu'au danger qui aurait pu menacer le jeune délinquant du village."
source "Connaissance et innocence" de Suzuki dans Zen, Tao et Nirvana, de Thomas Merton.