Le sencha de l'année 2009

Par Florentw
Dans le monde du thé japonais, le grand évènement, c'est à partir d'avril jusqu'à la fin mai, la période du  thé nouveau (shincha 新茶). Alors que 2008 fut une année de très grande qualité, 2009 fut plus mitigée, en raison notamment d'une chute bruque des températures en mars après un mois de février très doux qui avait sorti hâtivement les théiers de leur "hibernation", causant à ceux-ci des dommages qui se ressentent sur la qualité.
Mais il existe un autre évènement de très grande importance, certes plus confidentiel, peu connu du grand public, mais qui intéresse particulièrement un certain nombre de producteurs, de grossistes et de revendeurs. En automne se déroulent les concours, sorte de concours agricoles autour du thé.
Il en existe plusieurs, "le concours du thé de Tôkyô 東京都茶品評会", "le concours du thé de Shizuoka 静岡県茶品評会", "le concours du thé du Kansai 関西茶品評会", mais le plus prestigieux est bien sûr "le concours général du thé 全国茶品評会", se déroulant à l'échelle nationale. Dans chacune des catégories (types de thé), le thé obtenant la première place, et donc son producteur, se voie décerner le Prix du Ministre de l'Agriculture 農林省大臣賞.
Les critères sont l'aspect des feuilles, la couleur de la liqueur et l'arôme du thé. 
Les thés présentés dans les concours, bien que difficiles à se procurer, car produit dans de très faible quantités uniquement pour concourir, sont de toutes façon des valeurs sûr, et pas forcement très cher. En revanche, un premier prix partira forcement pour des sommes astronomiques, finalement assez ridicule car sa supériorité sur les autres reste infime... 
Cette année, j'ai pu me procurer (en fait on m'a donné) 5 g de l'heureux vainqueur dans la catégorie sencha !!!
Un sencha futsumushi produit par Monsieur Hiruma Yoshiaki 比留間嘉章, un producteur de Irima (Sayama, Saitama), grand spécialiste du malaxage à la main, très actif dans l'utilisation de nouvelle variétés de théiers, habitué des concours, il n'en est pas à sont premier prix. J'aurai l'occasion de reparler de cette sommité à propos d'un autre de ses thé, beaucoup moins académique.
Ce thé, un lot de 10kg est parti pour 150.000 yens le kilo ! Les petits suppléments de 5g vendu la coquette somme de 3000 yens (pour vous donner une idée, à ce prix vous avez déjà 100 g d'un très luxueux sencha, ou 50 g d'un sencha ayant obtenu une bonne place, mais pas le première dans un concours ! quand je vous disais que c'était ridicule).
C'est donc un de ces petits sachet de 5 g, tout juste de quoi faire une petite infusion pour deux personnes, que j'ai eu le bonheur de pouvoir goûter.
En voici l'aspect, les 5 g dans une petite théière:


Les photos ne lui rendent pas justice, mais il a tout ce qui est demander à un thé de concours, des feuilles d'un bon vert, parfaitement uniforme, de même, grande uniformité pour le forme des feuilles, finement roulées (aspect qui n'a rien à envier à un sencha rouler à la main), et du lustre, un bon brillant.
Au moment de l'infusion, ce type de sencha demande un traitement un peu spécial, moins d'eau, environ 60cc pour 5 g (compter le double pour un bon sencha classique), et environ 60°C. C'est qu'il s'agit d'en faire ressortir au mieux toute la douceur de la théanine et autre acides aminés dont la concentration est très forte dans un sencha d'aussi haute qualité (oui, il est demander à un bon sencha de contenir le plus possible de théanine, et le moins possible de l'astringente vilaine catéchine !). C'est donc ainsi que je procède. première infusion:


Liqueur jaune-verte, légère, parfaitement limpide. Doux parfum frais, et arôme très sucré, douceâtre mais sans lourdeur aucune. Inutile de préciser qu'il est impossible d'y discerner la moindre astringence.  Divin, mais sans surprise, on connaît les critères...
Pour la deuxième infusion, je diminue la quantité, et augmente la température jusqu'à 70°C, à peine.


La liqueur prend alors un vert plus net, toujours bien limpide. L'arôme reste subtil mais se fait plus fort, moins doux, avec une très légère et agréable astringence, rafraichissante après le déluge amino acidique de la première infusion.
Sans trop d'espoir, car un tel sencha est très riche en théanine mais pauvre en tanins, je tente une troisième infusion, qui ne donne comme prévu pas grand chose. De toute façon je n'en fait habituellement jamais, mais vu la valeur du présent nectar, il fallait bien tenter dans tirer le maximum. Les deux premières infusions suffisent en général à vider les feuilles de tout leur acides aminés (théanine, etc), et il y a bien peu tanins (catéchine, etc).
Voilà, un bien cour instant à savourer le sencha de cette année 2009. Je n'aurai peut-être jamais plus l'occasion de goûter au Prix du Ministre, et cela me donne en plus l'occasion de faire en beauté ma première présentation d'un "coup de coeur", tout en me permettant de parler un peu des concours, et de Monsieur Hiruma. Voilà un post bien dense !
Le prochain "coup de coeur" me fera revenir sur Monsieur Hiruma, avec un de ses sencha pour le coup très peu orthodoxe, mais très intéressant.