Avec Adelina Patti, la cantatrice australienne Nellie Melba est une des premières chanteuses lyriques a avoir enregistré sa voix sur un phonographe. Et comme pour la Patti, si, techniquement, ces enregistrements ne sont pas des merveilles, pour qui s'intéresse à l'art lyrique et à ses divas, ils possèdent un très grand intérêt historique. Et pour les plus gourmands des amateurs d'opéra (dont je fais partie), le nom de Nellie Melba est évidemment lié au dessert créé pour elle par le chef cuisinier Escoffier, dessert qu'on appelle « Pêche Melba » (un délice, tout simplement...). Pour la petite histoire, précisons tout de suite qu'il existe aussi une sauce Melba, une garniture Melba, des toasts Melba... Bref, cette dame semble vouloir nous persuader que chant lyrique et gastronomie sont intimement liés -ce qui n'est pas forcément faux quand on connaît le féroce appétit dont font parfois preuve les grandes cantatrices... (Voir Birgit Nilsson qui engouffrait un poulet entier avant de monter sur scène...)
Nellie Melba (devenue par la suite Dame Nellie Melba), de son vrai nom Helen Porter Mitchell, est née le 19 mai 1861à Richmond (aujourd'hui une proche banlieue de Melbourne) et morte le 23 février 1931, dans son pays natal. A l'instar de la Patti, elle reste dans les mémoires comme l'une des plus grandes cantatrices de la fin du 19ème et du début du 20ème, grâce à la pureté de sa voix et à la perfection de sa technique. Son nom de scène, Melba, vient de la ville de Melbourne.
Née elle aussi dans une famille vouée à la musique, elle étudie le chant à Paris avec Mathilde Marchesi et fait ses débuts en 1887 à La Monnaie de Bruxelles dans le rôle de Gilda, de Rigoletto. La même année, Covent Garden l'accueille pour la première fois : c'est loin d'être un triomphe et elle fait si peu d'impression sur le public, les critiques et la direction du théâtre londonien qu'on ne lui offre, pour la saison prochaine, qu'un petit rôle. Ce qui ne va pas, mais pas du tout plaire à la future reine de Covent Garden. Elle va persuader l'influente Lady de Grey de plaider sa cause et se verra finalement offrir le rôle de Lucia de Lamermoor en 1888. Et cette fois, c'est le triomphe absolu ; elle va ainsi acquérir une très forte influence sur l'administration du théâtre, influence qui durera environ quatre décennies ! Devenue Prima Dona Assoluta, elle décidera de l'engagement des artistes et de la distribution des rôles...
C'est dans le rôle d'Ophélie (Hamlet de Ambroise Thomas) qu'elle fera ses débuts à Paris puis enchaînera à Londres avec la Juliette de Roméo et Juliette de Gounod. Son partenaire ne sera rien moins que l'illustre Jean de Reszke. Commence alors une carrière internationale qui lui permettra de parcourir l'Europe et les Etats-Unis et la ramènera en Australie. Son répertoire est essentiellement italien, mais elle chantera quand même Wagner (Elsa dans Lohengrin). Comme on l'a dit plus haut, sa prodigieuse technique lui permet toutes les prouesses vocales ; mais ses talents d'actrice semblent avoir été nettement plus limités que ceux de la Patti. On lui reproche sa froideur sur scène, son manque d'engagement dramatique ; faiblesses compensées par la pureté du style et une diction absolument parfaite.
Sa voix angélique cache cependant une certaine tendance à la suffisance : elle se sait et se veut « Diva » et elle en a le tempérament. Capable de tout chambouler juste avant le lever du rideau, elle éclipse délibérément les autres sopranos pendant les représentations, attirant sur elle et elle seule le regard et l'attention du public. Sa phrase fétiche « je suis Melba » est pour elle une explication amplement suffisante à ses différents vœux, ordres, souhaits et caprices. Elle ne tolère aucune rivale. Autant dire qu'elle n'est guère appréciée par ses collègues. Un certain nombre de chanteuses fort connues, dont Rosa Ponselle par exemple, disent avoir vécu avec Melba des expériences très déplaisantes. Et la légende raconte qu'elle trouvait Caruso grossier et inculte parce qu'un jour, pendant une représentation de La Bohème, alors qu'il entamait l'air « che gelida manina, se la lasci riscaldar » (« votre main est glacée, laissez-moi la réchauffer ») il avait pris la main de Melba dans la sienne et l'avait serrée de toutes ses forces, tout en lui glissant dans la paume une saucisse qu'il avait prise dans les coulisses avant d'entrer en scène.
Mais en dépit de tous ses défauts, Melba était cependant respectée et il faut lui reconnaître au moins une chose : elle savait aider la carrière des jeunes chanteurs. Elle passa un certain nombre d'années comme professeur au conservatoire de Melbourne et ce fut elle qui imposa en 1924 à Londres et aux Etats-Unis la nouvelle star du chant, Toti Dal Monte.
C'est entre 1904 et 1926 qu'elle enregistre sa voix sur gramophone en Angleterre et aux Etats-Unis. Ces enregistrements sont essentiellement composés d'aria d'opéras, de duos et de chansons et la plupart sont disponibles en CD. L'exceptionnelle pureté de sa voix est sans doute une des raisons majeures qui sont à l'origine de l'adoration -voire de l'idolâtrie- que lui portait le public anglais.
Elle fait ses adieux officiels à Covent Garden le 8 juin 1926, en présence du roi Georges V et de la Reine Mary. Au programme : l'acte II de Roméo et Juliette, la Chanson du Saule et l'Ave Maria de Desdémone (Othello de Verdi), les actes III et IV de La Bohème. Puis elle quitte l'Europe, voyage quelque temps et s'installe définitivement en Australie où elle meurt en 1931. Le cortège funèbre qui l'accompagne à sa dernière demeure fait un kilomètre de long... Sa mort fait les gros titres de toute la grande presse d'Australie, d'Europe et d'Amérique. Simplement ces mots : « Melba est morte ».
Sur sa pierre tombale est gravée la phrase d'adieu de Mimi (La Bohème) : « Addio, senza rancor » « Adieu, sans rancune »...
VIDEO 1 : Air de Chimène, « Pleurez mes yeux » extrait du Cid de Massenet (1910)
VIDEO 2 : Les adieux à Covent Garden : l'Ave Maria, Othello de Verdi. (1926)