Cher et (très) hypothétique lecteur Haïtien,
Malgré la situation quelque peu embarrassante dans laquelle tu te trouves (sans doute) depuis deux jours, permets-moi de t'en taper joyeusement cinq et de te claquer le dos avec la bonhommie et la décontraction qui nous caractérisent, toi et moi, habitants des îles légèrement basanés, réputés pour notre nonchalance atavique et notre goût immodéré pour l'inactivité (ce n'est certes pas notre bon Président de la République qui me contredira, lui qui n'a pas hésité à affirmer que"le paysan africain, qui depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles").
Aujourd'hui, cousin (tu permets que je t'appelle cousin? En dehors de l'humeur capillaire, que nous avons tous deux crépue, et de la lippe, que nous avons tous deux épaisse, je te rappelle que nous sommes pour ainsi dire voisins et que ton île, tout comme la mienne, tient son nom des Taïnos, cette charmante peuplade primitive génocidée un peu vite par nos communs colonisateurs), aujourd'hui donc, et j'espère que tu ne m'en tiendras pas rigueur, j'ai envie de te dire, de te crier, de te hurler au visage:
"Cesse ces enfantillages immédiatement, Alphonse!"
Oui, je me suis dit que tu t'appelais peut-être Alphonse.
Ou bien Évariste.
Un de ces prénoms quelque peu désuets que le Noir francophone aime à porter sans que l'on comprenne vraiment pourquoi, et ce n'est certes pas, encore une fois, notre bon Président de la République qui me contredira, lui qui a évoqué avec tant d'emphase et de lyrisme "les mystères qui viennent du fond des âges et l'imaginaire merveilleux de l'homme noir" (ce gentil sportif au sourire si doux, tellement touchant avec ses babioles en ébène et ses croyances infantiles, éternellement condamné, de par ses gènes et sa culture historiquement retardée, à tenir une place subalterne dans nos sociétés hautement civilisées, bien entendu).
Cesse donc de te lamenter tel un enfant, Alphonse Évariste cher cousin d'Haïti.
Certes, tu as connu l'esclavage espagnol, puis l'esclavage français (autrement plus classe, n'est-il pas? Ah, l'esprit des Lumières…), puis des dizaines de coups d'Etat, puis l'occupation américaine, la misère chronique et la dynastie sanglante des Duvalier (de grands amis de la France, cependant, aussi je te prierai de modérer tes propos à leur égard , tout comme à l'égard d'Omar Bongo, Idriss Déby ou Denis Sassou-Nguesso, qui sont de grands démocrates et qui contribuèrent généreusement à renflouer les caisses du RPR du PS de l'Etat français).
Certes, tu subis depuis des décennies la violence endémique qui sévit sur ta terre natale.
Certes, l'instabilité politique permanente et les dictatures successives ont fait de ton pays l'un des plus pauvres du monde (d'autant plus que le citoyen occidental qui souhaite rencontrer des jeunes filles dénudées et pré-pubères se rend plutôt à Saint-Domingue ou à Cuba pour y dépenser généreusement ses dollars, un acte de charité désintéressé qui force l'admiration, tu en conviendras).
Certes, le récent tremblement de terre qui vient de détruire ta belle capitale de Port-Au-Prince a sans doute tué plus de cent mille de tes concitoyens, parents, enfants et amis.
(Au passage, si tu voulais bien faire preuve d'un minimum de décence en arrêtant de geindre devant les caméras sous le prétexte fallacieux que tes quatre enfants, ta mère, ton père, tes soeurs et ton épouse ont été ensevelis sous ta maison: je te rappelle que six ressortissants Français sont décédés, alors aie au moins le bon goût de respecter notre deuil national)
Tout de même, cher cousin.
Reprends-toi.
Sois digne.
Et fais-moi un beau sourire, car la France, dans son infinie générosité, a décidé de te tendre une main secourable.
Oui, cher Alphonse.
Eric Besson vient d'annoncer qu'il suspendait (provisoirement) les expulsions de sans-papiers vers Haiti.
Alors?
Qu'est-ce qu'on dit?
Mmmmmm?