Magazine Cinéma
Passer derrière la caméra n’est pas une mince affaire. Et surtout lorsqu’on est comédien ou comédienne. Le métier ne fait pas de cadeaux. Les exemples abondent d’échecs retentissants et d’expériences sans lendemains.
Drew Barrymore est une artiste un peu hors normes. Enfant star, elle a ensuite sombré dans la facilité des paradis artificiels. Sa traversée du désert a duré un bon bout de temps. Mais depuis une dizaine d’années la jeune femme est reconnue comme une valeur sûre par la profession même si son côté déjanté peut en agacer plus d’un.
L’actrice a franchi le rubicon en mettant en scène "Bliss" ("Whip it" en VO) d’après le roman éponyme de Shauna Cross.La vedette de ce premier film est Ellen Page, LA star montante du cinéma nord-américain (elle est canadienne).
Et je dois dire que le résultat est bluffant. "Bliss" est un véritable régal, un ensemble plus qu’abouti qui donne le sourire pendant près de deux heures.
Petite aparté : pour illustrer ma chronique j’ai choisi l’affiche originale car le visuel français est vraiment immonde, dégueulasse même de banalité. C’est vraiment agaçant.
Bliss Cavendar (Ellen Page) s’ennuie dans sa ville paumée du Texas. Elle subit les moqueries de ses camarades de lycée et travaille au snack bar du coin pour arrondir ses fins de mois. Sa mère Brooke (Marcia Gay Harden) rêve que sa fille remporte des concours de beauté.
L’adolescente un peu perdue découvre le "Roller derby" à Austin et se prend de passion pour ce sport très physique. Sans en informer ses parents, Bliss devient Barbie Destroy, l’un des bolides de la piste.
"Bliss" est un film extrêmement frais, dynamique, entraînant. Pendant deux heures le spectateur est happé par ce tourbillon de nanas déchaînées sur des rollers.
Constamment l’histoire rebondit. Les péripéties sont nombreuses. Le rythme ne faiblit à aucun moment. Un vrai divertissement, pas forcément familial, mais diablement convainquant.
Même si l’histoire est on ne peut plus classique dans son propos, la sempiternelle rengaine de l’accomplissement par tel ou tel vecteur, la forme suffit largement à nous distraire. Drew Barrymore (qui s’est en plus réservée un rôle secondaire sacrément couillu) dynamise son film par une espèce de bonne humeur générale qui transperce l’œuvre de part en part.
Elle sait alterner les moments sacrément drôles et les instants où l’émotion est à fleur de peau. Nous avons le droit à quelques bribes de bons sentiments hollywoodiens et à un poil de morale mais le film n’est absolument pas pollué. "Bliss" garde son identité. Le long métrage nous touche et ne ressemble à aucun autre. Rien que pour ça, la première réalisation de Drew Barrymore est à ranger au rayon des très grandes satisfactions de cet hiver (rigoureux).
"Bliss" est un film qui nous touche à plusieurs niveaux. Les relations compliquées entre une mère et sa fille sont abordées de front. Même si nous restons dans le ton de la comédie, Drew Barrymore évite de nombreux clichés dans ce domaine. Les mots font parfois mal et certaines répliques sont assez cinglantes.
D’autres thématiques aussi fédératrices se retrouvent au cœur de "Bliss". L’amitié complice qui unit Barbie Destroy à Pash (Alia Shawkat) est l’un des moteurs du film.
Certains parleraient d’ironie quand Drew Barrymore aborde la question des concours de beauté mais moi je parlerais plutôt de regard attendri teinté d'une certaine nostalgie.
Les dialogues sont fins, travaillés et le spectateur prend du plaisir à suivre des échanges toujours cocasses.
"Bliss" bénéficie d’une bande son entraînante aux morceaux variés. L’un des moments forts du film est superbement valorisé par le sublime "No surprises" de Radiohead.
"Bliss" n’est pas un long métrage contemplatif. C’est un film électrisant où les moments d’action sont légions. Les matches de Roller Derby sont très bien mis en scène. Le suspense prend aux tripes et la dramaturgie de ce sport, très méconnu en France à l’exception des fans de "Rollerball", nous explose à la figure.
Drew Barrymore a su s’entourer de techniciens sachant mettre en valeur ces moments intenses, nerveux où (tous) les coups sont (presque) permis.
Le film est l’occasion de nous présenter une formidable galerie de personnages. Les hommes y sont peu nombreux mais sympathiquement attachants. Et que dire de ces diablesses de la piste ?
Les roller girls sont captivantes, ensorcelantes, gonflées, solidaires. Elles nous communiquent leur énergie. Drew Barrymore ne tombe pas dans la facilité du "regard de femme" bardé de concessions. Au-delà des sportives, la réalisatrice dresse le portrait de vraies femmes, de protagonistes entiers, jamais caricaturés.
Zoe Bell (doublure d’Uma Thurman sur "Kill Bill" et de Lucy Lawless dans "Xena" mais mondialement reconnue pour son talent de comédienne depuis "Boulevard de la mort"), Kristen Wiig, Drew Barrymore, Juliette Lewis (dans une étonnante composition de peste de service), Eve, Ari Graynor entre autres s’en donnent à cœur joie sur la piste.
Alia Shawkat tire son épingle du jeu. Un visage espiègle, radieux.
Marcia Gay Harden sait nous émouvoir à volonté. Son rôle de mère qui ne comprend pas sa progéniture force le respect une fois de plus. Daniel Stern , trop rare à mon goût sur nos écrans, excelle en père complice.
Mais que serait "Bliss" sans Ellen Page ? Pas grand-chose assurément.
Révélée par "Hard candy", confirmée avec "Juno", la jeune actrice est véritablement étonnante. Son regard, ses mimiques, ses silences, son phrasé, son physique en général font d’elle une phénoménale comédienne.
Le cinéma "produit" ce genre de talent pur une ou deux fois par génération. Bien sûr qu’elle ne pourra pas jouer toute sa vie le rôle titre de gamine perdue mais pour l’instant ses prestations demeurent hallucinantes de vérité et de professionnalisme.
"Bliss" est une œuvre surprenante sur bon nombre de plans. C’est un film attachant. Drew Barrymore nous gratifie d’une mise en scène gonflée. Sa première est remarquable.
Un réel plaisir de cinéphile.
Ps : j'ai vu le film en VO bien sûr. Par la suite j'ai jeté un coup d'oeil à la bande annonce en VF : une horreur.