Barack Obama a fait part jeudi 14 janvier de sa détermination à taxer 50 grandes banques américaines pour récupérer les fonds publics dépensés lors du sauvetage du système financier. Les établissements financiers américains ont suscité le courroux présidentiel en renouant avec les excès qui ont précipité la planète financière dans la crise. Une crise qui selon l’analyse d’Alain Minc et Jacques Attali dans Slate.fr est loin d’être finie avec une grosse facture qui reste à payer.
Ce n’est pas une révélation, tous les observateurs s’accordent à reconnaître qu’aprés avoir senti le vent des boulets, le système financier a replongé avec délice dans ses vieux travers . Aux Etats-Unis, le New York Times a dévoilé que les banques américaines s’apprêtaient à verser à leurs collaborateurs des primes à 6, 7 voire 8 chiffres.
La réplique politique américaine diffère de celle choisie par la Grande-Bretagne et la France. A la différence de ces deux pays, Barack Obama ne veut pas s’engager dans des dispositifs de limitation des bonus. Il veut aller plus loin via une taxe sur la responsabilité de la crise financière, étalée sur dix ans, applicable aux 50 banques les plus puissantes du pays, filiales des banques étrangères sur le sol américain comprises. Elle ne concernerait toutefois que les entreprises financières dont l’actif est supérieur à 50 milliards de dollars d’avoirs.
“Je suis déterminé à récupérer chaque centime dû au peuple américain et ma détermination ne peut être que renforcée lorsque je vois les profits énormes et les bonus obscènes dans les sociétés mêmes qui doivent leur survie au peuple américain“, lequel continue de souffrir de la récession, a déclaré à la télévision Barack Obama.
Le produit de la taxe est évalué à 117 milliards de dollars mais il vise surtout un double objectif psychologique : assurer au contribuable qu’il sera intégralement remboursé et dissuader les marchés de nouvelles prises de risque excessives.
Lors d’un point-presse, Robert Gibbs, porte-parole de la Maison-Blanche, estime que les dirigeants des grandes banques doivent des excuses au peuple américain dans la mesure où ils se comportent comme si rien n’avait changé depuis la crise.
Ignorant les raisons de la colère, les banques font plus que le gros dos pour adopter une stratégie d’opposition active. Mercredi, à l’occasion des premières auditions de la commission d’enquête du Congrès sur la crise financière, elles ont non seulement affirmé qu’elles n’avaient jamais vu venir la crise mais également défendu leurs pratiques de rémunération, dont les bonus. Face à l’exaspération des parlementaires, elles ont simplement reconnu du bout des lèvres que la régulation du secteur devait être renforcée.
Bien que voulue par la Maison-Blanche, la future taxe aura un chemin tortueux et semé d’embûches à parcourir avant d’entrer en application. Les banques devraient faire jouer pleinement leurs relais au sein du Congrès pour la bloquer. Jean-Marcel Bougereau du Nouvel Obs salue la méthode Obama plus posée, plus lente à ses yeux que la voie de la régulation choisie par Nicolas Sarkozy mais cependant, plus efficace.
En France, Jacques Attali et Alain Minc portent un regard très inquiet sur l’économie mondiale estimant que si la morgue a été évitée, elle se trouve toujours en salle de réanimation. Outre le surendettement des Etats, les deux économistes stigmatisent l’impunité des banquiers et rappellent leur responsabilité dans la crise.
Jacques Attali fait remarquer que nous avons une perception très anesthésiée de la récession dans notre pays qui s’est tout de même traduite par une hausse significative du chômage (25%) soit un million de chômeurs supplémentaires doublée d’une augmentation massive de la dette publique qui pèsera par la suite.
Pour illustrer son propos, Jacques Attali reprend la métaphore de la salle de réanimation, et pose la question de savoir non seulement si l’opération a été la bonne mais aussi, “qui va payer les folies des banquiers?“
L’ancien sherpa de François Mitterrand ne voit que deux réponses possibles : le retour de l’inflation et/ou une augmentation générale des impôts. A cet égard, le point de vue de Jean-Claude Trichet sur France Inter (cf vidéo) est éclairant.
De son côté, Alain Minc insiste sur l’absence de moralité des banques et appuie son affirmation sur la décision des banques anglaises “qui ont décidé de faire payer les taxes sur les bonus de Gordon Brown non pas aux traders, mais aux actionnaires“.
Alain Minc pose un regard sans complaisance : “Une banque c’est un service public et un casino. On n’a pas touché au casino et on n’a pas traité le service public comme tel. Je ne parle pas de nationalisation, mais de service public moderne. On plafonne le rendement pour les actionnaires. Les banquiers sont passés de manière hallucinante à travers les gouttes. Ils sont responsables de la crise et sont à nouveau arrogants et triomphants. Ils n’ont rien compris et rien appris. Cela va être un vrai problème dans tous les pays“.
Dans un précédent article (Banques: le triomphe des coupables ), Jacques Attali avait posé le même constat et esquissé une solution. “Au total, les entreprises industrielles, qui créent les vraies richesses, financent les erreurs et les bonus des banquiers, avec la bénédiction des hommes politiques. Et en bout de chaîne, les salariés en sont les ultimes victimes: les banques américaines enfoncent dans la dépression ceux qu’elles ont déjà largement ruinés.Ces lobbys sont si puissants qu’on n’en sortira que par une révolution politique. Elle devrait conduire, au moins, à interdire aux responsables publics du secteur financier de travailler ensuite dans les établissements qu’ils contrôlent. Et au plus, à nationaliser ce secteur. Une révolution, vous dis je“.
Une révolution, il faudra bien ça pour mettre un terme à la prédiction d’Eric le Boucher selon laquelle, “les banques gagnent toujours “.
En attendant, elles viennent de relever leurs confortables tarifs. Un joli pied de nez à ceux qui évoquent un contexte social pré-révolutionnaire.
Source URL: http://www.slate.fr/story/15515/crise-economie-attali-minc-croissance-chomage-ban