Canardo est un palmipède alcoolique au regard triste créé par Benoît Sokal en 1979. La clope au bec et portant en toutes circonstances un imper cradingue façon Columbo, il a le chic pour s’embarquer dans des histoires glauques qui ne font qu’accentuer sa perpétuelle mélancolie.
Cette intégrale regroupe ses trois premières « aventures ». Dans Le chien debout, Canardo ne tient pas le rôle principal. C’est Fernand, un chien exilé depuis plusieurs années qui rentre au bercail pour retrouver un amour de jeunesse. Une sombre histoire de savant fou et de vivisection viendra ruiner ses espoirs. La marque de Raspoutine se déroule en Sibérie. Canardo accepte d’accompagner la belle Alexandra dans les plaines de Russie pour qu’elle retrouve son père, le cruel Raspoutine, un chat obèse à la tête d’une troupe sanguinaire. Enfin, dans La mort douce, le brave canard apprendra que la musique n’adoucit pas les mœurs, loin de là.
Bien avant le Blacksad de Canales et Guarnido, Sokal a créé un détective privé ayant les traits d’un animal et qui évolue parmi ses congénères anthropomorphes. Vous l’aurez compris, Canardo n’est pas Donald Duck. Et son monde n’est pas celui de Walt Disney, loin de là. Tous les personnages présents dans cette intégrale traînent un insondable vague à l’âme. Les décors non plus n’inspirent pas la joie : les cieux sont bas, gris, pluvieux. Le troquet « Chez Fredo », qui apparaît dans les trois tomes, est sale et enfumé.
Les protagonistes masculins sont des ordures ou des losers. Dans chaque histoire, c’est une figure féminine qui provoque le drame. Mais la femme est finalement la seule à garder un semblant d’humanité. Le regard que porte Sokal sur ses semblables à travers ces animaux doués de raison (si l’on peut dire !) peut sembler désespérant. J’ai l’impression qu’il est surtout très pessimiste. On nage en pleine tragédie. Le destin de chacun est tout tracé et la chute impossible à éviter. Canardo est juste un spectateur désabusé et mélancolique qui s’accroche à la bouteille comme on s’accroche à un dernier espoir.
Ces trois premiers tomes sont parmi les meilleurs de la série qui va énormément perdre en qualité par la suite (le 19ème volume doit sortir au mois d’avril). A dévorer d’urgence.
Canardo : intégrale premier cycle, de Benoit Sokal, éditions Castermane, 2010. 16 euros.
L’info en plus : Les éditions Casterman publient dans leur collection Haute densité l’intégrale d’une autre série de Benoit Sokal. Il s’agit de Paradise, dont voici un résumé succinct : « En Mauranie, le roi Rodon attend le retour de sa fille. Mais l'avion de cette dernière est abattu par des rebelles. Rescapée mais amnésique, elle est recueillie dans le palais du prince de la ville de Madargane... ». Cette série contient en tout 4 albums qui sont regroupés dans cette intégrale. A noter que Sokal n’œuvre pas au dessin (c’est Brice Bingono qui s’y colle), il scénarise cette histoire dépaysante et torturée comme il les aime.