« Le beau est toujours bizarre. ... Je dis qu'il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie naïve, non voulue, inconsciente, et que c'est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement Beau », disait Baudelaire.
Bref résumé de la pensée ressentie à l’approche de ces mastodontes, monstres à la fois attirants et angoissants.
Ces monstres de béton interrogent forcement tous quidams qui les croisent. Aucun regard ne peut les ignorer sitôt que l’on empreinte la route bleue en direction de Guérande ou de Saint Brévin, à la hauteur de Trignac.
Que sont donc ces monuments, situés entre Saint Nazaire et le Parc régional de Brière, s'étirant, tendant le cou et les vertèbres, tarasques de béton ?
Ce sont des forges, friches industrielles, monstres sacrés emblèmes de la ville de Trignac et mémoire d’un des plus gros centres industriels de la presqu'île guérandaise.
Enfin les vestiges de ce qu’il en reste après diverses phases de destruction : l'aire de stockage des matières premières, l'estacade à charbon, des silos et les fours à coke, la base et les cheminées tronquées d'un haut-fourneau, peu de choses finalement quand on connaît les plans de l'usine à la période de prospérité, suffisamment cependant pour mesurer la taille de l'usine. La hauteur des silos ( 35 m ), dominant le paysage plat de l’Estuaire est impressionnante vue du sol.
Un peu d’histoire
En 1879, la société des Mines de Fer d'Anjou décide de créer les Forges de Saint-Nazaire et l'implantation se fait à Trignac. La production démarre en 1882 et l'usine emploie près de mille ouvriers en février 1887. En 1900, la production de fonte est de 69 000 tonnes et l'effectif est de 1500 salariés. Frappée de plein fouet par la crise de la construction navale, l'usine ferme définitivement ses portes le 23 mars 1943 .
Le travail dans les Forges : "L'ENFER"
Les hommes de la terre se sont transformés en hommes d'usine.
Les forges étaient surnommées « le goda » ou « le godard » qui signifiait « Enfer ».
Les ouvriers étaient souvent victimes d'accidents du travail, parfois mortels : brûlures, coupures, fractures. Pendant de nombreuses années, les accidents étaient quotidiens, car les mesures de sécurité étaient quasi-inexistantes.
Les hommes travaillaient quotidiennement entre 12 voire 16 heures d'affilée.
Le travail était pénible : on peut le comparer aux travaux dans les mine de charbon du nord de la France. Il était question de chaleur, de cadences infernales, de gaz ; beaucoup d'ouvriers mouraient de tuberculose et autres maladies affectant les voies respiratoires. Un travail de forçats pour la plupart d’entre eux...
Quels projets pour réveiller ces friches industrielles ?
Réaménager ces ruines qui perpétuent la mémoire industrielle pour leur offrir une seconde vie, rebondir sur l’idée que le beau est toujours bizarre, osciller entre mémoire et réveil, susciter un autre regard sur cette architecture luciférienne par des éclairages nocturnes par exemple, bref comment réveiller ce monstre sacré ?
Quelles seraient vos envies et vos idées ?
Photographies Série Friches industrielles - Les forges de Trignac - Saint Nazaire - Loire Atlantique
Géraldine Joigneault et Stanislas Fonlupt