Aux antipodes du Huitième Jour, Jaco Van Dormael revient treize ans plus tard avec une fable hollywoodienne et futuriste : Mr. Nobody. Imitant son personnage, le réalisateur belge choisit de ne pas choisir. Et passe, du coup, à côté des possibilités de son propre film.
Nemo est un bambin, un jeune homme et un vieillard de cent douze ans. Conscient que choisir, c’est déjà tourner le dos à une vie potentielle, Nemo décide d’être tout à la fois et de vivre plusieurs existences en parallèle. En guise de point de départ, ce sont donc trois points de suspension : “et si… ?”. Qui ne s’est pas en effet un jour demandé ce qui aurait pu se passer s’il n’avait pris telle ou telle décision, à un moment donné de sa vie ?
La question est légitime et le concept séduisant. Mais on ne bâtit pas un film sur une simple interrogation en se contentant de saupoudrer le tout d’un discours pseudo-scientifique. Le spectateur est balloté sans ménagement d’une scène à l’autre et fait le grand écart entre les différentes existences de Nemo, le tout dans une alternance de styles à donner le tournis. Avec Mr. Nobody, les histoires s’enchevêtrent, les genres se confondent et l’on s’interroge : le réalisateur sait-il lui-même où il veut en venir ?
Un flou sur le fond, mais aussi sur la forme. Certes Van Dormael touche sa bille en matière de réalisation, et nous en fait la démonstration. Mais si le film est d’une esthétique époustouflante, elle devient étouffante à la longue. Macros à gogo (combien de fois voit-on le fond bleu de l’œil de Jared Leto ?), ralentis, images à l’envers… sans compter une scène de lévitation qui arrive comme un cheveu sur la soupe.
Le réalisateur donne en fait l’impression de sortir du placard toutes les techniques, twists et autres alambics cinématographiques dont il n’avait pu faire l’usage dans ses précédents films. Et Mr. Nobody de prendre des airs d’inventaire à la Prévert. On ne peut s’empêcher de penser que Van Dormael aurait gagné à faire quelques économies de moyens. Tout le décorum d’une société du 21ème siècle où les hommes ont découvert la clef de l’immortalité, par exemple, n’apporte strictement rien au film.
En clair donc, on ne comprend rien. Pourtant le fait de ne pas “comprendre” une oeuvre n’est pas en soit un motif pour ne pas l’aimer. De la même manière que ne pas “comprendre” un tableau ne nous empêche pas de ressentir quelque chose en le regardant.
Le problème est ailleurs : trop occupé à brouiller les cartes, Van Dormael oublie son personnage (un reproche similaire à celui que nous avions déjà fait à Terry Gilliam). L’ensemble donne donc l’impression d’une recette audacieuse mélangeant les ingrédients les plus improbables tout en oubliant pourtant un élément fondamental : la levure. De quoi faire lever la pâte, donner un peu d’épaisseur au personnage incarné par Jared Leto et apporter ce soupçon de cohérence qui fait cruellement défaut. Il en fallait peu pour en faire un chef-d’œuvre.
Vanilla Sky, Lola Rennt, Donnie Darko, Mulholland Drive… Mr. Nobody fait partie de ces films tarabiscotés qui feront longuement parler. Déluge de techniques, imbroglio du scénario et genre indéterminé, chacun ira de son interprétation en essayant d’assembler les pièces du puzzle. Espérons juste que Van Dormael n’en ait pas égarées en route…
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