“Chez ces gens là” ne perd-on pas le sens des réalités? Il est possible au premier coup d’oeil de le penser. Ne vous méprenez pas; je ne cherche pas à promouvoir un débat télévisé qui n’aurait, à mon sens, pas lieu d’être. Je ne récuse pas non plus l’information politique même un peu “spectacle”; j’ai écrit sur le “duel” Hollande/Copé . Mais ce soir, dans « A vous de juger » sur France 2, Eric Besson doit s’opposer à Marine Le Pen sur le thème de « l’identité ».”Le grand combat” titrent certains. C’est une erreur de casting.
Ceux qui reprochaient à la problématique migratoire de déborder inévitablement sur la question identitaire vont pouvoir crier victoire, premier point négatif. Qui empêchera en effet la blonde avocate de centrer ses propos sur le sujet … Arlette Chabot ? Besson dépensera beaucoup de salive et d’énergie pour essayer en vain d’en sortir. Parler de l’immigration pourquoi pas ? Mais laisser le thème envahir totalement le débat, ce qui ne manquera pas, n’est pas la meilleure stratégie en matière d’identité. Quand on connaît par ailleurs, la pugnacité maladive du FN sur le sujet, pourquoi choisir d’attaquer l’adversaire sur son propre terrain ?
Il y a quelques années (en 1994 je crois), à l’occasion d’élections européennes, Bernard Tapie avait affronté Le Pen (le vieux), toujours sur France 2, avec un certain mérite et un succès reconnu. Mais il s’agissait de Nanard avec toutes ses facilités à descendre dans l’arène la plus sanglante et nauséabonde, d’atteindre les mêmes niveaux que l’adversaire, parfois les plus bas, d’employer les mêmes armes. C’était aussi l’occasion pour François Mitterrand, rappelons-nous, de marginaliser Rocard tête de liste du PS à l’époque : mission remplie d’ailleurs !
On se prend à douter, en revanche que le « policé » Besson puisse se comparer au bretteur devenu acteur : ce n’est pas sa culture ; il ne connaît rien à cet environnement et risque de se faire balader. Si Eric Besson veut « se payer » la fille Le Pen pour redorer un blason jugé terni, il fallait choisir un autre thème. L’ancien économiste du PS manie sans doute mieux les chiffres, les questions économiques ou la fiscalité. On le voit mal, vraiment, se sortir du piège qu’il a lui-même tendu.
Pour Marine Le Pen, l’occasion fournie est magnifique ; elle va sans doute pouvoir faire plus « soft » que le vieux en son temps et, à quelques semaines des élections régionales, c’est tout bénéfice.
Je prends bien sûr des risques en commentant avant-même qu’il ait eu lieu un tel débat (aura-t-il lieu d’ailleurs?). Mais je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi l’équipe gouvernementale et en premier lieu François Fillon, a pu donner son aval à une telle prestation en période préélectorale difficile. Sauf à vouloir, hypothèse à retenir, signer “la reconduite aux frontières franchies” du dénommé Besson.
Il y aurait bien une autre explication, mais elle peut apparaître tortueuse.
Du temps de Françoisc Mitterrand et d’une gauche relativement unie, la montée du FN gênait principalement une droite souvent assez disparate. On comprenait alors très bien les raisons pour lesquelles Mitterrand, avant chaque scrutin important, relançait le débat sur le vote des étrangers par exemple et bien d’autres sujets qui fâchent … Veillant avec soin à garantir au FN un bon score.
Aujourd’hui la donne n’est plus du tout la même. En terme de régions, la gauche a beaucoup à perdre et peu à gagner. Elle est parfaitement désunie, éparpillée, avec des difficultés perceptibles de regroupement au second tour : difficultés d’autant plus grandes que le score du premier tour serait plus étriqué. De nombreuses voix populaires excédées par ces divisions, l’absence de cohérence globale et un enthousiasme unitaire relatif, peut très bien faire le petit détour par le vote protestataire FN d’un jour. Regardez de prêt l’évolution des suffrages dans des quartiers populaires, au fil des 20 dernières années : vous y constaterez des “échanges” massifs parfois surprenants pour ceux qui connaissent les sociologies concernées; ça s’appelle du transfert de votes protestataires. Ainsi assisterait-on à un retour 20-30 ans en arrière, mais à front (sans jeu de mot) renversé : c’est la droite qui fait semblant de s’interroger sur le vote local des étrangers (le PS essaye de suivre), tout en parlant de la burqa etc. C’est la droite qui joue au bonneteau de l’immigration.
Tiré par les cheveux ? OUI ! Mais alors pourquoi un tel risque ?
D’autres ont une interprétation radicalement différente et sont persuadés que Besson va l’emporter facilement en brandissant les droits de l’homme, la bonne conscience de sa lutte contre le « trafic humain » et les « passeurs » etc. Ils pensent aussi, depuis le début, que cette affaire d’identité affaiblit le FN : je crains qu’ils ne connaissent pas l’existence du billard à trois bandes.
Pour Arlette Chabot, en revanche, l’aubaine est de taille, elle est certaine de franchir un joli score à l’audimat.
_____________________________________________