J’avais deux bonnes raisons pour choisir ce livre à la bibliothèque quand je l’ai vu sur la table des nouveautés. Tout d’abord, je me suis engagée à lire au moins deux auteurs russes dans le cadre du challenge de Pimpi sur la Russie, challenge que je viens de finir avec un livre de Tourgueniev, un de Lermontov et un autre de Gogol. Ensuite je me suis engagée à relire Guerre et Paix pour fin juin (cf. Lectures communes dans la colonne de droite) Enfin, plus que Tolstoï encore dont j’ai lu Anna Karénine et Enfance et adolescence , j’aime, comprends et admire sa femme, cette Sophie (dite Sonia) Bers (1844-1919) , épousée en 1862, alors qu’elle avait dix-huit ans et qu’il en avait trente-quatre et qui l’accompagna 48 ans jusqu’à la fin de sa vie, si tragique et si célèbre, dans sa fuite éperdue, loin de sa famille, sur ce quai de gare solitaire et glacial d’Astapovo.
Ensemble ils ont eu 13 enfants, ensemble ils ont vécu entre le grand domaine campagnard et familial d’Iasnaïa Poliana qu’affectionnait particulièrement Tolstoï et la maison de Moscou, plus mondaine et plus frivole, nécessaire à l’équilibre de Sonia, ensemble aussi ils se sont déchirés , réconciliés , hais et aimés. Leurs tempéraments si opposés les séparaient. Il était de plus en plus idéaliste, elle fut, par force, de plus en plus terre à terre, s’occupant de tout le côté matériel et financier de la famille, surveillant l’éducation des enfants, les serviteurs, les réceptions, gérant le domaine agricole, relisant et recopiant des heures durant les manuscrits illisibles de l’écrivain, ouvrant même à la fin une petite maison d’édition pour publier les derniers écrits du grand homme.
Elle fut une grande amoureuse, fidèle au seul homme qu’elle aura aimé, malgré les perpétuelles dissensions. On suit sa vie au jour le jour à travers leurs journaux respectifs, qu’ils s’étaient promis de lire mutuellement. Ce fut d’ailleurs un très grand choc et la première souffrance de Sophie lorsque, trois jours avant son mariage, Tolstoï lui fait lire son journal de jeune homme où il consigne ses péchés et ses vices « pour qu’elle sache bien l’homme qu’il est », « jusqu’à cette liaison avec une serve d’Iasnaïa Poliana avec qui il n’a pas encore eu le courage de rompre ! » De dégoût et de frayeur, elle pleure toute la nuit et ne le lui pardonnera jamais vraiment ! Elle cessera, quant à elle de tenir son journal en 1910, le mois suivant la mort de Tolstoï. Pendant les neuf années qui suivront, elle marchera 1 kilomètre tous les jours pour déposer des fleurs fraîches sur la tombe de celui dont elle dira à sa mort : « J’ai vécu avec Léon Nikolaïevitch quarante-huit ans et ne suis pas arrivée à savoir quel homme c’était… »
Elle meurt à 75 ans d’une pneumonie également. Elle est inhumée dans le cimetière de Kotchaky , à côté de sa fille Macha. Ses autres enfants n’assistèrent pas à la cérémonie, ayant quitté la Russie pendant la révolution.
« Sonia Tolstoï a vu quatre stars, plusieurs guerres, la famine, la révolution, elle a donné naissance à treize enfants, en a vu mourir sept. Elle a vécu quarante-huit ans avec un homme dont le nom restera dans les mémoires aussi longtemps que n’importe lequel des Roumanov qu’elle a vu passer, ou des révolutionnaires qui les ont remplacés. Vivre dans l’ombre de Tolstoï a été la grande aventure de sa vie, sa passion, son inspiration. »
Inutile de dire combien j’ai aimé cette biographie. Je vous renvoie au récent billet très complet d’Allie sur le livre de Louise Smoluchowski : Léon et Sophie Tolstoï : portrait d’un mariage. Autre biographie, autre auteur mais même mariage, même histoire et surtout mêmes géniales personnalités.
La comtesse Tolstoï par Bertrand Meyer-Stabley ( Payot, 2009, 183 pages) couverture : Le couple Tolstoï vers 1900)