«Parler d'un génocide au Darfour, c'était offrir un terreau à l'Arche de Zoé»
Par http://contrejournal.blogs.liberation.fr/
« Nicolas Sarkozy est allé au Tchad parce que l’Arche de Zoé plombait sa propre opération militaro humanitaire » explique Antoine Glaser, directeur de la rédaction de la lettre du Continent, qui révèle sur son site l'existence d'un courrier du secrétariat d'Etat aux droits de l'homme à Rachida Dati dénonçant « l'illégalité de l'opération de l'arche de Zoé». Ce courrier est en ligne surAfrica intelligence (lire "la preuve de Rama Yade")
Antoine Glaser dirige la Lettre du continent - l'une des publications du groupe Indigo, éditeur d'Intelligence online et de la Lettre A et il est, entre autres, l'auteur de Ces messieurs Afrique (1992 et 1997) et Comment la France a perdu l'Afrique (en 2003) avec Stephen Smith.
Vous venez de révéler à vos abonnés que le ministère français de la justice a effectivement été alerté, début août de l’illégalité, et de l’imminence de l’opération l’arche de Zoé. Vous en avez une preuve?
C’est une lettre de Brigitte Collet [directrice de cabinet de Rama Yade, secrétaire d'Etat aux droits de l'homme] qui s’adresse au directeur de cabinet de Rachida Dati en lui expliquant, en deux paragraphes extrêmement précis, qu’il va y avoir de trois cent à mille enfants qui vont être sortis illégalement du Tchad. C’est étonnant qu’à la suite de cette lettre il n’y ait eu aucune intervention. Bien sûr, les autorités tchadiennes sont maîtres de décider quelles sont les ONG qui doivent opérer ou pas chez elles. C’est étonnant qu’en France, il n’y ait pas eu de suites judiciaires. Puisque des démarches avaient été engagées auprès du procureur. Cette lettre montre bien les dysfonctionnements survenus en France et sur le terrain dans l'affaire de l’Arche de Zoé".
Pourquoi l’Etat n’a pas empêché l’opération?
On sous-estime la situation sur le terrain et la perte d’influence et le manque de moyens de la France en Afrique. A l’ambassade de France, il doit y avoir une dizaine de personnes. Sur le
terrain, l'on voit bien que les militaires ne parlent pas aux diplomates et vice-versa. Ce genre de problème peut arriver, parce que chacun reste sur son pré carré. Mais il y avait la
possibilité de faire, ici, des pressions sur cette association. Ne serait-ce que de convoquer Eric Breteau qui s’apprêtait à commettre un acte illégal.
Que pensez-vous des questions posées par Rony Brauman sur la responsabilité de l’Etat, et la surdramatisation de la situation au Darfour?
Depuis plusieurs mois, une partie des French doctors sont sur cette ligne des néoconservateurs américains et des évangélistes américains qui ont soutenu les rébellions du Sud Soudan,
consistant à dire qu’on était en présence d’un génocide au Darfour et d’une inaction de l’Etat. Le candidat Sarkozy avait dit qu’il fallait intervenir immédiatement. L’arche de Zoé, ce sont
deux personnes, qui semblent sortis d’une secte qui entendent ça, mobilisent quatre personnes et partent en mission au Tchad se sentant investis d’une mission. Lors d’un colloque qui s’était
tenu à la Mutualité, Bernard Kouchner n’avait qu’une motivation: ne pas laisser tomber le Darfour, il s’y déroule un génocide. Certains parlaient même de Shoah. La réalité, c’est que s’il y a
eu des crimes de commis, s’il y a eu effectivement 200.000 personnes qui ont été tuées, on est plutôt dans un phase descendante. Même si le président Omar El Béchir veut garder le pouvoir et
utiliser le Darfour dans les négociations futures au Sud Soudan pour des enjeux pétroliers, personne ne croit qu’il y a un processus d’extermination de toutes les populations noires du
Darfour. C’est une situation géopolitique extrêmement compliquée avec des antagonismes séculaires. La simplifier en disant qu’il y a un génocide et qu’il faut parachuter toute les ONG du
monde, c’est un terreau favorable aux opérations du type Arche de Zoé.
Les enjeux politico-militaires ont joué un rôle?
Ces enjeux sont importants du coté de Paris, puisque Bernard Kouchner a persuadé Nicolas Sarkozy qu’il fallait qu’il s’investisse personnellement sur le dossier du Darfour pour peser dans le
monde. Le Darfour intéresse les Etats-Unis, qui exploitent deux cent mille barils de pétrole dans le Sud du Tchad. Les Chinois exploitent 500.000 barils dans le Sud Soudan. Vous avez des
enjeux pétroliers importants. C’est un pays qui est à la charnière du monde arabe et du monde africain. C’est aussi la charnière du monde anglo-saxon où les Français ont été obligés de
baisser pavillon devant les Anglais du temps de la colonisation. C’est un pays clé. Stratégique. L’investissement de Nicolas Sarkozy ce n’est pas seulement d’aller chercher trois journalistes
et quatre hôtesses de l’air espagnoles. C’est aussi parce que cette affaire de l’Arche de Zoé est en train de lui plomber sa propre opération militaro humanitaire, qui va se déployer ces
prochaines semaines à la frontière du Tchad. C’est une opération européenne mais portée par la France. Trois mille soldats, mille cinq cent soldats français. Le quartier général sera au Mont
Valérien. C’est une opération importante pour Nicolas Sarkozy, destinée à sécuriser les camps de réfugiés, à la frontière du pré carré français, du Tchad et de Centrafrique, avant l’arrivée
de l’appareillage lourd des Nations Unies, qui va se déployer, début 2008, avec 26.000 hommes.
Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy veulent faire une opération pour montrer que la France s’intéresse à nouveau à l’Afrique et draine ses partenaires européens. Seul problème, dramatique,
c’est que les Allemands ont refusé d’y aller, et le cabinet de Bernard Kouchner a le plus grand mal à monter cette force européenne.
Le Soudan fait partie de l’axe du mal…
Cette opération va se dérouler en territoire tchadien et centrafricain. Mais l’idée derrière tout ça est de neutraliser à terme le pouvoir d’Omar El Béchir. Sur ce plan, la France joue un
double jeu. Au dernier sommet de Cannes, Jacques Chirac avait invité lui même Omar El béchir. Total est actuellement en train de récupérer un immense gisement de pétrole qui fera aussi
500.000 barils jours au Sud Soudan. Donc les intérêts économiques de la France sont plutôt au Soudan qu’au Tchad. Si l’on suit la politique américaine, le méchant c’est Omar El Béchir. Soit
on se met avec les Chinois avec Omar El Béchir. Soit avec les Américains, contre lui."
Propos recueillis par Karl Laske