KUALA LUMPUR - Près de 70.000 hectares de jungle vont être engloutis cette année sur l'île de Bornéo avec l'entrée en service d'un méga-barrage, au désespoir des tribus de chasseurs-cueilleurs délogées de leurs terres ancestrales.
Les turbines du barrage de Bakun seront mises en marche courant 2010, 17 ans après l'approbation de cet investissement de 2,2 milliards de dollars par les autorités malaisiennes.
Il faudra alors huit mois pour que se remplisse la retenue, qui recouvrira une vaste zone forestière de l'Etat du Sarawak, au nord de l'île que se partage la Malaisie et l'Indonésie.
Pour cela, la zone a été vidée de ses quelque 15.000 habitants, pour la plupart membres des ethnies Penan et Kenyah, relogés dans de nouveaux campements, où certains ont perdu leurs repères.
"Notre peuple n'a jamais voulu quitter ces lieux. Nous désirons y mourir", affirme Balan Balang, chef coutumier d'une tribu Penan.
Le vieil homme regrette l'impuissance des siens à pouvoir résister aux autorités malaisiennes qui "nous ont rayés de la carte en signant quelques documents" alors, qu'avant, "on nous combattait avec des arcs et des machettes".
Avec l'aide d'associations, son objectif est d'éviter que de nouveaux barrages soient construits au Sarawak, où une douzaine de projets sont actuellement examinés.
"A quoi vont servir tous ces barrages?", s'interroge Harrison Ngau, un ancien parlementaire malaisien qui défend les droits des indigènes. "C'est juste un moyen pour les politiciens de se faire de l'argent", accuse-t-il.
L'organisation Transparency International a également dénoncé le barrage de Bakun comme "un monument de corruption", dont l'utilité économique n'a pas été prouvée. La demande électrique du Sarawak, éloignée du reste de la Malaisie, ne nécessite pas un tel équipement d'une capacité de 2.400 MW lorsqu'il deviendra totalement opérationnel en 2011, estiment ses détracteurs.
La société publique Sarawak Energy Berhad, qui le gère, reste pour l'instant très vague sur les douze autres projets. "Il s'agit d'un plan stratégique que nous avons le potentiel de mener à bien, mais ils ne seront peut être pas construits avant 50 ans", explique à l'AFP le ministre du Développement rural du Sarawak, James Masing.
Riche en matières premières, le Sarawak suscite notamment l'intérêt de la Chine, dont la société publique SGCC prévoit d'y développer, avec des partenaires malaisiens, des projets énergétiques d'un montant de 11 milliards de dollars.
M. Masing reconnaît que les nouveaux campements accueillant les Penan déplacés ne sont "pas parfaits", notamment en raison d'un accès limité à l'eau, aux soins ou à l'éducation. "Ils ont de bonnes raisons de ne pas nous faire confiance, mais notre objectif n'est pas qu'ils disparaissent", affirme-t-il.
Mais pour Balan Balang, qui se dit âgé "de 70 à 80 ans", le barrage ne fait qu'accentuer le sentiment d'une perte irrémédiable de l'environnement et des traditions autochtones.
La forêt, qui couvrait la grande majorité de Bornéo, est maltraitée par le déboisement illégal et laisse place à d'immenses plantations pour l'huile de palme, dont l'Indonésie et la Malaisie sont les deux premiers producteurs mondiaux.
"Nos rivières sont désormais toutes polluées. La faune, comme les cochons sauvages ou les gibbons, disparaît petit à petit. Même le rotin et les plantes aux larges feuilles que nous utilisons pour les toits de nos maisons sont difficiles à trouver", se lamente Balan Balang.
Au Sarawak, le nombre de Penan est évalué à environ 10.000, dont 300 à 400 seraient encore nomades.
(©AFP / 12 janvier 2010 06h30)