"Au vrai, elle ne regrettait rien, immergée tout entière dans la réalité d'un présent atroce mais qu'elle pouvait se représenter avec clarté, auquel elle appliquait une réflexion pleine à la fois de pragmatisme et d'orgueil (elle n'éprouverait jamais de vaine honte, elle n'oublierait jamais la valeur de l'être humain qu'elle était, Khady Demba, honnête et vaillante) et que, surtout, elle imaginait transitoire, persuadée que ce temps de souffrance aurait une fin et qu'elle n'en serait pas récompensée (elle ne pouvait penser qu'on lui devait quoique ce fût pour avoir souffert) mais qu'elle passerait simplement à autre chose qu'elle ignorait encore mais qu'elle avait la curiosité de connaître"
Et si c'était tout simplement cela, une femme puissante?
Si la seule liberté face à la mâle domination consistait à ne pas lui inféoder son âme.
Face au mâle mal, incarné respectivement par leurs père, mari et amant, Norah, Fanta et Khady, trois femmes d'origine sénégalaise, resteront maîtres de leurs doutes et de l'honnêteté de leur expression.
Prix Goncourt 2009 - je ne vous apprends rien - Marie Ndiaye décline une écriture travaillée, au phrasé déconcertant de structure et de longueur mais - heureusement - judicieusement ponctué : il suffit de lire des passages à haute voix pour en apprécier l'élégance du rythme.
Une écriture à ce point ciselée, tendue vers la juste expression qu'elle sollicite le lecteur d'une constante attention.
Marie Ndiaye, Marcel Proust revisité?
" Puis elle distingua nettement les lumières mouvantes devant elle, comprit qu'elles devaient provenir de lampes accrochées à l'avant d'un bateau, elle discerna alors, comme s'il lui avait fallu d'abord saisir de quoi il s'agissait pour le voir, les formes d'une grande barque semblable à celles dont elle guettait le retour lorsque, petite fille, sa grand-mère l'envoyait acheter du poisson sur la plage" (p 281)
Apolline Elter
Trois femmes puissantes, Marie Ndiaye, roman, Gallimard, juin 2009, 318 pp, 19 €