Si la démocratie est, selon les mots de Churchill, le « pire des régimes à l’exclusion de tous les autres », c’est sans doute que le pouvoir politique, en dépit de la représentativité et de la séparation des pouvoirs, peut en réalité facilement s’y affranchir de tout contrôle sérieux, ce qui constitue une porte ouverte, entre autres, à l’explosion irraisonnée des dépenses publiques. Cette dernière est, selon la théorie du Public Choice, en partie due aux incitations des hommes politiques dans le « jeu démocratique », qui peuvent avoir intérêt à dépenser s’ils veulent se faire réélire, et des bureaucrates, qui ont intérêt à faire gonfler la dépense publique pour « maximiser » la taille de leurs bureaux.
Par ailleurs, l’interventionnisme inhérent à la démocratie moderne génère classiquement des effets pervers qui vont être « corrigés » par … de nouvelles interventions et de nouvelles dépenses pour le contribuable : l’interventionnisme appelle l’interventionnisme. Nul doute que la crise américaine sur les marchés immobiliers et du crédit hypothécaire deviendra un cas d’école en la matière.
Dans ce contexte, des garde-fous constitutionnels peuvent contribuer à ralentir la croissance irraisonnée de l’État. La concurrence fiscale, en dépit de tout le mal qu’on en dit en France, est un de ces mécanismes : elle lie d’une certaine manière les mains du pouvoir. Le système de Cour des comptes, en aidant le Parlement (et sa Commission des finances) à contrôler les dépenses, peut aussi jouer ce rôle de garde-fou. Au Royaume-Uni le National Audit Office permet depuis longtemps de tenir des audiences durant lesquelles les décideurs publics sont publiquement critiqués pour la gestion de la chose publique. Voilà une incitation à une gestion plus éclairée et rationnelle de l’argent public.
En France, la Cour des Comptes n’a pas joué un rôle réellement important dans le contrôle de la dépense publique jusqu’à récemment. Créé en 1807, elle s’est en effet pendant longtemps cantonnée à publier des rapports annuels réservés à l’Assemblée qui n’en faisait rien. Mais l’arrivée de Philippe Séguin à la présidence de l’honorable institution va faire évoluer les choses Depuis 2004 en effet non seulement la Cour des Comptes a commencé à certifier pour la première fois les comptes de l’Etat et de la sécurité sociale, mais elle a aussi réussi à assurer son indépendance vis-à-vis du Ministère des finances, la Cour des Comptes disposant désormais d’une ligne budgétaire indépendante dans la Loi des finances. Philippe Séguin étend le champ d’analyse de la Cour des comptes aux politiques publiques ; les rapports thématiques se multiplient. La Cour analyse désormais la manière dont ses recommandations sont appliquées par les administrations. C’est sous la présidence Seguin que le tout premier contrôle des dépenses de l’Elysée a été réalisé.
La fin de sa Présidence a d’ailleurs sans doute été marquée par un combat contre l’Elysée et son locataire actuel. Seguin n’hésite pas à défendre le minimum en termes de relance et de protection des banques, soucieux des possibles dérives en la matière. Surtout, après avoir révélé certaines dépenses exorbitantes de l’Élysée, c’est le coût du sommet de l’Union pour la Méditerranée qui est critiqué.
C’est aussi M. Seguin qui a proposé une réforme de rationalisation de la Cour des compte elle même. En effet, si les magistrats sont prompts à proposer des axes de réformes pour les autres administrations, ils sont plus frileux concernant leur propre réforme. Seguin a mené des réflexions qui ont abouti au projet de loi récent sur la réforme des chambres régionales des Cours des comptes. Il souhaitait supprimer les 22 chambres régionales des comptes pour les regrouper en quelques chambres interrégionales.
Enfin, c’est sans doute avec fierté que M. Seguin a présenté le dernier rapport où la Cour des Comptes qui révèle que de 1980 à 2007 le nombre de fonctionnaires a augmenté en France au rythme de 36 % soit deux fois plus vite que la population, ce qui traduit un réel problème de la croissance irraisonnée du pouvoir politique en hexagone. Ce sont les collectivités territoriales qui ont le plus enflé, de manière logique d’ailleurs quand on considère le processus de décentralisation française dans lequel l’élément fondamental qu’est la responsabilité a été omis.
M. Seguin aurait pu faire encore mieux. D’abord, sans audiences publiques comme au Royaume-Uni, on est encore loin de l’idéal de transparence et d’efficacité. L’indépendance de la Cour primait sur tout pour M. Seguin. De ce fait, il n’y a toujours pas de véritable organisme d’audit et de contrôle sous la coupe du Parlement : l’indépendance de la Cour se paie en efficacité, les responsables n’étant toujours pas sanctionnés.
Philippe Séguin rêvait pourtant d’une cours des comptes ayant un rôle aussi important que dans les pays anglo-saxons, son œuvre reste donc inachevée. Nicolas Sarkozy choisira-t-il un remplaçant qui continuera à scruter les comptes des administrations publiques de façon aussi méthodique et indépendante ? On peut espérer que le successeur de M. Seguin aille plus loin dans l’efficacité pour qu’enfin cette noble institution joue complètement son rôle.
Mathieu Bédard est analyste sur www.UnMondeLibre.org.