Hicham El Moussaoui – Le 12 janvier 2010. L’expression de « stagflation » a été créée dans les années 1970 pour caractériser une situation économique inédite caractérisée à la fois par un taux élevé d’inflation et un fort taux de chômage dans les pays industrialisés. Si depuis deux ans le leitmotiv des banques centrales et des politiques est la lutte contre la déflation, la chute du dollar, l’explosion du cours de l’or (jusqu’à 1170 dollars l’once) et le taux de chômage élevé (11% aux Etats-Unis) ne sont-ils pas les signes d’un retour prochain de la stagflation?
La lutte contre la déflation fait le lit de l’inflation
Face à la crise, la Fed et beaucoup d’autres banques centrales ont choisi une politique d’injection de liquidités dans les caisses des banques en espérant que celles-ci prêtent au reste de l’économie. Bernanke, le président de la Fed, semble convaincu que cette politique de renflouement et de baisse des taux d’intérêt permettra à l’économie américaine de sortir de la crise. Or, l’inflation pointe son nez. Aux Etats-Unis, les prix à la consommation ont augmenté de 0,4% en novembre dernier : c’est la première hausse depuis le mois de février. Pourtant Bernanke estime que les risques de tensions inflationnistes sont limités. A-t-il raison ?
La majorité des liquidités injectées pour renflouer les banques n’a pas profité aux acteurs de l'économie réelle (ménages et entreprises). En témoigne la pénurie de crédit organisée au nom de la « maîtrise des risques » par les banques (baisse dans la zone euro par exemple du volume des prêts aux entreprises de 1,2 % sur un an en octobre 2009 et de 0,1% pour les prêts aux ménages). La plupart d’entre elles spéculent sur le dollar ou investissent dans les bons de trésor sûrs à 10 ans avec un rendement d’environ 3,5%.
La quantité de monnaie en circulation doit être proportionnelle au niveau de production et de transactions. En cas d’une émission excessive de la monnaie pour un niveau donné de production ou de transactions, cela finit par élever le niveau général des prix, d’où l’inflation. Plus il y a de monnaie en circulation, plus la valeur individuelle de chaque billet et de chaque pièce diminue et plus les prix des biens libellés en cette monnaie augmenteront. Ainsi, aux Etats-Unis, la croissance actuelle de la masse monétaire supérieure à celle de la production réelle (PIB) ne débouchera que sur de l’inflation. Dans le même ordre d'idées, les politiques budgétaires et monétaires expansionnistes de l'Administration Obama, créant un excès de liquidités, ne font qu’aggraver l’endettement public (2,56 milliers de milliards de dollars en 2009) et le déficit budgétaire (1 750 milliards de dollars, soit 12,3 du PIB pour 2009-2010).
Même si l’inflation pourrait encourager momentanément les producteurs, elle compromet à terme la croissance. En effet, l'inflation défavorise les créanciers (leurs créances sont libellées en une monnaie de faible valeur) et favorise les débiteurs (leurs dettes réelles diminuent), particulièrement l'État l'agent le plus endetté de l'économie, ce qui incite à l’irresponsabilité budgétaire. L’inflation implique des coûts de renégociation permanente des salaires et de réévaluation des stocks. Elle fausse aussi le calcul économique en rendant certains investissements artificiellement rentables entraînant ainsi une mauvaise allocation des investissements. Enfin, la hausse des prix internes affaiblit la compétitivité des exportations par rapport aux produits étrangers sur le marché national, d'où le ralentissement de l'activité économique.
La flambée du cours de l’or : un signe qui ne trompe pas
Quand achète-on de l'or ? Quand on est inquiet des perspectives économiques, et parce que c'est un actif a priori sûr. Durant les années 70 inflationnistes, l’or représentait l'un des meilleurs investissements. En effet, l’or a le suprême avantage de ne pas pouvoir être dupliqué à la demande et ne fait pas l’objet de la manipulation par des politiques monétaires. Donc suite à une inflation, les agents cherchent à préserver la valeur de leur patrimoine en ayant de moins en moins de monnaie disponible pour avoir de plus en plus de biens à valeur relativement constante. La flambée du cours de l’or reflète la hausse de la demande du métal jaune, il est passé de 636 euros en 2006 à 1100 euros l’once en 2009.
La politique monétaire très laxiste de la Fed et de la plupart des Banques centrales ces derniers temps, à l’origine de l’excès de l’offre de monnaie sont en train de faire le lit de l'inflation par la demande, qui se reflète déjà dans les matières premières : l'or notamment, mais surtout les matières premières agricoles. Au delà de la hausse naturelle des cours due à la rareté, la politique monétaire laxiste exacerbera les tensions sur les matières premières industrielles car les taux d'intérêt bas favorisent la spéculation. En effet, la chute du dollar, un actif jusque là considéré comme valeur refuge, incitera les investisseurs à se rabattre sur les matières premières comme actifs, ce qui alimentera la demande de ces matières premières et fera exploser leurs prix. Par ailleurs, comme le cours du pétrole est libellé en dollar, la chute de la valeur de ce dernier poussera les producteurs à augmenter mécaniquement le prix du baril afin de préserver leurs recettes réelles, ce qui alimentera la hausse des prix par les coûts.
Enfin, lorsque l’on observe la ruée des banques centrales vers l’or (Inde, Chine, Russie, Corée du Sud, etc.), il est légitime de penser que l'inflation devrait donc s'amplifier dans les prochaines années, couplée à une croissance proche de zéro. Les Banques centrales devraient alors courir après cette inflation, et rivaliser d'augmentation de taux pour y faire face, ce qui pèsera sur les ménages comme sur les marchés financiers. Elles seront alors placées devant un dilemme : resserrer leur politique monétaire pour lutter contre l'inflation ou la relâcher pour diminuer l’effet récessif à court-terme. Au vu des pressions politiques, la première option est la plus probable, et avec elle la répétition du scénario stagflationniste des années 70.
Hicham El Moussaoui est analyste sur www.UnMondeLibre.org.