Avec Tetro, Francis Ford Coppola est revenu en mai dernier à Cannes avec une nouvelle exploration très personnelle du clan et de ses luttes intestines.
“Angie is dead. It’s Tetro now.” Dans l’air moite de Buenos Aires, Benny retrouve enfin son grand frère Angie, qui a fui le carcan familial il y a des années. Angie devenu Tetro, l’accueille froidement. Benny fait partie d’un passé que Tetro s’est juré d’oublier en bloc depuis son départ des États-Unis. Plus Tetro se mure dans le silence, plus Benny s’enfonce dans les secrets de famille.
Coppola est de retour et fait dans le baroque. A 70 ans, le réalisateur retrouve l’inspiration : il rédige lui-même le film, et fait le choix du noir et blanc, compilant la précision de plans très réalistes à la douce folie de visions tirées des Contes d’Hoffman et de la démesure de l’opéra pour dessiner la noirceur des relations familiales.
Avec une grande liberté de narration, le cinéaste se penche sur le thème de la fuite et de la figure monstre d’un père mégalo. “Il n’y a de la place que pour un génie dans cette famille.” Le père de Tetro, “Sa Grandeur”, écrase son fils de sa notoriété de brillant chef d’orchestre. Sous les coups de baguette de son père, les filles dont s’éprend Tetro s’agitent comme Coppélia, la poupée désarticulée d’Hoffman. L’ombre paternelle plane tout au long du film, jusqu’à son triomphe ultime aux airs de récital ronflant. Un énième écho à la saga familiale des Coppola (Le Parrain, Rusty James) ? Père compositeur, frère qui s’exile : les parallèles sont évidents. Mais rapidement anecdotiques.
La force du film tient surtout à son fabuleux jeu d’acteurs. Le duo Tetro-Miranda/Vincent Gallo-Maribel Verdú fonctionne parfaitement en couple improbable entre un écrivain raté et sa psy rencontrée à l’asile. “Le poète doit agir”, mais ne peut jamais tout à fait se libérer de ses souvenirs. La scène d’entrée de Tetro est particulièrement réussie. La jambe dans le plâtre, une cigarette à la main, il débarque fulminant dans la cuisine face à Bennie, joué par Alden Ehrenreich. C’est lui la véritable révélation du film. Mi Brando, mi Di Caprio à ses débuts, il est solaire en jeune matelot.
Le choix du noir et blanc confère un côté radical à un univers visuel tranché, sans peur des détails. Les scènes gagnent alors en contrastes, en fulgurance. Et la lumière nous éblouit. Flashs, ampoules blafardes, flammes : elle est partout. “La lumière est ma liberté” crie Tetro, alors éclairagiste dans une salle de théâtre. Le passé ressurgit en couleurs, sur des images presque fanées. Mais à force de multiplier les points de vue, Coppola nous sème et s’égare un peu. A coups de flashbacks, le film se répète parfois et vient à manquer de souffle dans le twist final.
Des détours de ruelles animées de Buenos Aires au road trip vers la Patagonie, le film réussit cependant à nous éblouir par une mise en scène particulièrement séduisante de la violence d’un clan déchiré. Avec Tetro, Coppola a signé son grand retour à Cannes (Quinzaine des réalisateurs) en tant que cinéaste depuis sa seconde Palme d’Or pour Apocalypse Now. Pour notre plus grand plaisir.
Crédits photos : © Memento Films Distribution