La nouvelle a fait le tour des États-Unis mais a aussi été reprise (oh pourquoi) dans plusieurs journaux français (décidément, Le Monde fait beaucoup de promotion du baseball ces derniers temps). C’est une nouvelle sans en être une. On le savait mais Mark ‘Big Mac’ McGwire l’a avoué, il s’est dopé aux stéroïdes anabolisants dans une interview aux accents émus, voire larmoyants.
Cela a pris du temps, sans doute pour se préparer, sans doute aussi pour préparer une nouvelle carrière qui s’offre à lui. Mais avant de revenir sur le pourquoi du comment, je vous propose un petit retour sur la carrière d’un des joueurs les plus populaires des années 1990.
Un des plus gros frappeurs de l’Histoire.
Né le 1er octobre 1963, Mark McGwire est drafté en juin 1984 par les Athletics d’Oakland. Sa carrière dans les Ligues Majeures débute le 22 août 1986 : en 18 matches et 58 présences, il frappe 3 circuits cette année-là.
Mais dès sa première saison complète, il frappe fort, au propre comme au figuré : 49 circuits, le meilleur total des majeures, et un titre de rookie de l’année. Trois Séries Mondiales disputées consécutivement avec les A’s en 1988, 1989 et 1990, pour une victoire et deux défaites dans l’ultime série. Dès 1987, McGwire devient All-Star.
McGwire joue au premier but, le poste où évoluent la plupart des gros frappeurs. Il y remporte un gant doré en 1990.
La rupture semble s’être produise en 1993 où McGwire entame une période marquée par de nombreuses blessures (7 séjours sur la liste des blessés et 228 matches manqués en cinq saisons) : à la cage thoracique, aux talons… Pour récupérer plus vite, Big Mac (c’est comme ça qu’on le surnomme en raison de sa corpulence) commence à prendre des stéroïdes (anabolisants). D’après ses aveux, il aurait testé ces produits à l’hiver 1990. Mais c’est à ce moment-là, toujours selon ses déclarations, qu’il aurait usé régulièrement des stéroïdes, jusqu’à la fin de sa carrière.
Après deux ans de galères, McGwire retrouve peu à peu ses sensations : 39 circuits en 1995, 52 en 1996 et 58 en 1997. C’est au cours de cette saison qu’il est transféré aux Cardinals de Saint-Louis.
L’année 1998 est importante dans le baseball majeur. McGwire livre avec le joueur des Cubs de Chicago Sammy Sosa, une incroyable course au home run, dont la cible n’est autre que le record de Roger Maris (61 HR en 1961). Le 8 septembre 1998, une balle expédiée dans le champ gauche du Busch Stadium, lors d’un match contre les Cubs justement, le fait entrer dans l’Histoire. A la fin de la saison, McGwire a frappé 70 circuits, même s’il ne termine que deuxième au scrutin du meilleur joueur de la Ligue Nationale.
En 1999, McGwire frappe 65 circuits mais les deux années suivantes le voient décliner : il dispute moins de parties (89 et 97 contre plus de 150 les saisons précédentes) mais il claque encore 32 et 29 circuits avant de se retirer après la saison 2001, à l’âge de 38 ans. En 1999, il figure au 91ème rang des 100 plus grands joueurs de l’Histoire de la MLB.
En carrière, McGwire a réussi 583 circuits, autant qu’Alex Rodriguez encore en activité, en 1660 matches, ce qui le classe au 8ème rang des frappeurs de l’histoire du baseball majeur. D’autre part, il détient le record de circuits pour un rookie (49) et le plus faible nombre de présences entre deux circuits frappés (10,61 contre 11,76 pour Babe Ruth).
La chute.
La popularité de McGwire, qui n’était pas un grand amateur des médias, lui a valu le nom d’une portion d’autoroute entre Saint-Louis et le Busch sur l’autoroute 70 (comme ses 70 circuits) qui traversent plusieurs Etats.
Cette popularité a considérablement chuté après sa retraite.
Lorsque le Congrès s’est emparé du scandale du dopage dans le baseball, McGwire a été cité à comparaître pour répondre aux questions de la Commission de la Chambre des Représentants. Le 17 mars, il refuse de répondre aux questions sur l’utilisation de stéroïdes en déclarant qu’il « n’est pas là pour parler du passé ». Aux yeux des amateurs, c’est le coupable aveu sans reconnaître ses torts. Si on peut pardonner les errements, on ne pardonne pas le mensonge surtout sous serment.
Pourtant, selon Tom Davis, député qui présidait la commission, McGwire avait reconnu dans l’entretien préalable qu’il avait utilisé les stéroïdes mais prenant peur, il avait décidé d’invoquer le Cinquième Amendement de la Constitution et refusé de répondre. Sa non-réponse n’était pénalement pas répréhensible. On a appris ensuite que McGwire avait fait l’objet d’une enquête du FBI dès 1993.
Mark McGwire prêtant serment devant la commission d'enquête de la Chambre des Représentants. Sans avoir menti, Mc Gwire a refusé de répondre aux questions portant sur le dopage, ce qui a été considéré comme un quasi-aveu et lui a coûté une perte de crédibilité importante.
Cet effondrement se traduit par de faibles résultats au scrutin du Hall of Fame. En quatre années, il n’a jamais atteint les 24% alors qu’un joueur de sa stature aurait certainement été élu rapidement, tout au moins aurait eu des pourcentages bien plus proches des 75% nécessaires pour l’introduction.
D’autre part, il est intéressant de savoir dans quelle mesure la prise de produits dopants a amplifié ses blessures et amélioré ses résultats. Pour McGwire, il ne sait pas quel effet leur consommation a engendré sur les premières mais il pense qu’elle n’a pas influé notablement sur les seconds. Il a expliqué qu’il avait connu de bonnes et mauvaises années avec la prise de produits. Par contre, on sait pour les lanceurs les risques que la prise d’anabolisants engendre : le gonflement de la masse musculaire n’entraine pas une musculation supplémentaire des ligaments. A force, des derniers se tendent et se rompent. La rupture des ligaments du coude est le cauchemar de tout lanceur au baseball : sa réparation nécessite l’opération « Tommy John » ce qui signifie au moins un an d’arrêt.
Mais la vie de McGwire a basculé quand il a accepté au mois d’octobre de devenir l’entraineur des frappeurs des Cardinals de Saint-Louis. Sans doute pour être bien certain que la MLB acceptera qu’il occupe ce poste, McGwire, qui s’est dit certain qu’à un moment il fallait qu’il avoue. Le 11 janvier, il s’est enfin décidé après un entretien préalable avec le commissaire des Ligues Majeures, Bud Selig.
Big Mac. Coupable oui mais …
Big Mac est donc passé à table. C’est un peu gras, un peu lourd peut-être mais l’abcès est crevé. Il est la deuxième superstar du baseball, après Alex Rodriguez l’an passé, à avouer qu’il avait pris des produits interdits. Les autres soupçonnés, convaincus de dopage, non : le seul qui a été attrapé par un contrôle est Manny Ramirez (LA Dodgers, ex-Indians, ex-Red Sox) l’an passé. Barry Bonds a été convaincu mais soutient que c’était à « l’insu de son plein gré », dans le cadre de l’affaire BALCO, David Ortiz la mule des Red Sox ou Roger Clemens, ont été cités avec des preuves plus ou moins accablantes mais ont toujours nié s’être dopés. Bonds est poursuivi pour faux témoignage et obstruction à la justice, Clemens pour le seul faux témoignage (pour le moment).
McGwire, comme d’autres, avait été cité par un ancien joueur de baseball, et star de la MLB à son époque, José Canseco, qui lui-même avait avoué se doper. Il a été cité également dans d’autres rapports.
Mais aucune preuve directe n’a été apportée contre lui. Et pour cause, la politique anti-dopage de la MLB date de 2004. Bud Selig considère que c’est la plus efficace du sport professionnel, sous-entendu en Amérique du Nord (Comparé à l’AMA on est aux limites de la crise de rire). Pour défendre se défendre, il a ajouté que 0.8% seulement des contrôles effectués (plusieurs milliers) en 2009 étaient positifs. Mais si Selig se targue de résultats qui peuvent faire sourire, on peut aussi affirmer que la prise de conscience du dopage est progressive dans le baseball.
A cette date, rien de tout cela n’existait. Pourtant, les journalistes qui suivaient les exploits de McGwire expliquaient que ce dernier avait son casier grand ouvert, avec tous les produits nécessaires, sans véritablement se cacher. Une image d’une autre époque et révélatrice des pratiques. Les uns réprouvaient sa consommation, les autres ne disaient rien.
La décision de McGwire de reconnaître ses fautes peut être motivée autrement que par le souci de revenir dans la Ligue comme entraineur. Sans doute espère-t-il reconquérir le cœur des Américains, dont on connaît la capacité à pardonner, comme ils savent ne pas pardonner aux menteurs. De fait, il pourrait croire qu’une élection au Hall of Fame n’est pas totalement exclue, pour les 11 autres années où sa candidature est valide. Peut-être aussi que McGwire veut libérer une certaine parole et cette fois tirer un trait sur le passé mais un bon trait. Ceci dit, toutes ces hypothèses sont loin d’être justes et leur réalisation est plus encore incertaine. On aura un début de réponse au mois d’avril quand il se présentera dans les différents stades de la MLB et un autre l’année prochaine quand les résultats du scrutin 2011 pour l’intronisation au Hall of Fame seront publiés.
Bouc-émissaire d’une inconscience collective.
Bien sûr que McGwire est coupable et bien évidemment il n’est pas tout seul. Comme je l’ai déjà écrit et comme c’est toujours le cas, les coupables sont aussi ceux qui ne sont pas sur le terrain. Ceux qui pensent que le spectacle n’a pas de prix et que se doper n’est pas de la triche. Ceux qui ont refusé toute politique anti-dopage jusqu’au bout : Bud Selig, qui s’est vu imposer des mesures par le Congrès, et la puissante association des joueurs.
La réflexion doit porter aussi sur notre vision du dopage et de la politique anti-dopage. Je trouve facile de dénoncer et de jeter l’oprobre ceux qui avouent avoir triché après avoir feint de n’être au courant de rien. Ce n’est pas le cas de tous les détracteurs de McGwire mais combien se sont réellement interrogés sur l’éthique des pratiques dopantes dans le baseball avant 2003 ? Ne nous cachons pas non plus derrière lui et les dizaines (centaines) d’autres dopés dans le baseball majeur.
De toutes manières, la lutte contre le dopage n’est efficace que si elle est crédible et réellement voulue -et non pas subie-, ce qui n’était absolument pas le cas du baseball (et pas beaucoup non plus actuellement il faut l’admettre).
A l’inverse, la suspicion généralisée n’est pas non plus bonne conseillère. Les dernières performances constatées sur les 10 dernières saisons tendent à montrer que le baseball entre dans une phase « normale » qui correspond aux années 60 à 80. Frapper 50 circuits reste une sacrée performance (Albert Pujols n’a jamais atteint cette marque lui qui est le meilleur de la décennie) que Hank Aaron (755 circuits en carrière) n’a pu réaliser une seule fois.
Se pose aussi la question de la validité des performances. Faut-il annuler les records des tricheurs ? Ma réponse peut surprendre mais je vais répondre non.
Non parce que rien ne prouve dans un sens ou dans un autre que les autres détenteurs ne soient pas des tricheurs. Si je déclare que le Bambino, Maris et autres se sont dopés, je pense que j’aurai droit au bûcher sous peu. Or rien ne permet d’affirmer avec certitude leur exemplarité.
Non parce que les lanceurs, que McGwire, Bonds et autres ont affronté, avaient les mêmes pratiques.
Non parce que le baseball s’est nourri de ces exploits sans jamais regarder ce qui se cachait derrière la scène. Personnellement, je me suis intéressé pour la première fois au baseball quand j’ai vu un documentaire sur une chaine cryptée sur la course au record de 1998. McGwire et Sosa ont été les premiers noms auxquels je me suis familiarisé, sans avoir vu leurs matches (pas Big Mac en tout cas et Sosa sur la toute fin). Il faut assumer les erreurs commises et ne pas retourner sa veste comme pour s’acheter une bonne conduite morale.
Qu’on le veuille ou non, les McGwire et Bonds font partie de l’histoire du baseball mais ce baseball-là n’est pas propre, il faudra vivre avec. Ce non concerne les amateurs, les dirigeants, les journalistes qui sont parmi les premiers « opportunistes » à la mode Dutronc. Ce sont ces gens-là qui n’ont jamais voulu parler de dopage jusqu’à la curieuse année 2001, qui a soulevé les problèmes. Gare donc au retour de bâton moraliste aussi néfaste qu’un laxisme total.
Personnellement, je pense que McGwire devra passer par un purgatoire avant de mériter sa place au Hall of Fame, car celui-ci comprend d’autres joueurs qui se sont dopés ou drogués (comme Paul Molitor, le seul Hall of Famer intronisé comme Frappeur Désigné en 2004 qui avait reconnu se doper et se droguer) au cours des premières années de sa carrière. Mais il la mérite autant que ceux-là, il n’y a pas de raison contre. Sa confession risque d’en appeler d’autres et dans les mêmes conditions. Il faut parfois « oublier » pour repartir de l’avant. Mais le oublier est entre guillemets, il n’exclue pas de ne pas répéter les mêmes erreurs.
Dans son entretien-confession, McGwire admet avoir commis une erreur et pense que c’est une bonne chose qu’une politique anti-dopage ait été mise en place. Sincère opinion ou opinion « politiquement correcte » ? A vous de juger. En tout cas, geste notable, McGwire s’est excusé auprès de la veuve de Roger Maris. Elle assistait au fameux match qui l’a vu brisé le record mythique de son mari.
Cette réflexion mérite d’être étendue. Et quelle approche aurons-nous quand le football sortira ses cadavres du placard, quand le rugby révèlera certaines pratiques, que le quadruple vainqueur du Tour de France (qui a triché après la mise en place d’une politique anti-dopage « un peu crédible ») sera finalement sanctionné par une instance crédible ? Et je ne parle pas des autres sports US.
Reste que pour claquer le circuit, la force ne suffit pas. Il faut aussi l’acuité et cela ne se gagne pas par les stéroïdes.