Certains conseils sont pires que des provocations. Ils soulignent tant l'incompréhension flagrante que l'ignorance parée de vertu.
« Avare est non celui qui a de l'argent, mais celui qui en désire. »
Evagre le Pontique
Ainsi, me conseilla-t-on, de cesser de lire Evagre et d'autres auteurs de grande valeur pour « retourner » aux Evangiles. Et ce afin de trouver, d'après le conseilleur, « la charité ». Ce conseil, certainement sincère, prouve toutefois une incompréhension, largement partagée, une véritable hypnose du social, la foi, non en Dieu Trine mais en la « religion universelle du bonheur », cette gnose au nom menteur qui sème la désolation et la souffrance que ses options soient socio-humanitaires ou libéralo-capitalistes. Ce littéralisme est glaçant d'effroi quand il mène à affirmer que le « Christ est mort pour les pauvres, les opprimés, les miséreux... ». Cette vision exclusive, colle, toutefois, parfaitement avec l'abus de langage. Car le Christ n'est mort pour personne s'Il n'est pas Ressuscité ! Et Il est mort ET Ressuscité pour tous, pour tous les pécheurs, pauvres ou riches ! La pauvreté, comme toute autre condition matérielle, n'est pas un gage de salut. Bien sûr il sera difficile à un riche d'entrer dans le Royaume, je ne l'oublie pas. Mais, la racine du mal est l'orgueil, et tout comme certains pensaient que les richesses sont une preuve de la bénédiction divine, d'autres pensèrent que la pauvreté en était une autre... Idolâtrer sa condition matérielle quelque qu'elle soit est une aberration. Croire que la bienfaisance humanitarienne est la charité en est une autre ! L'aumône transformée en système idéologique, la solidarité obligatoire ayant « force de loi » est, sans aucun doute, la pire des parodies, fondement de la religion de « l'homme fait dieu » ! Léon Bloy l'a formidablement et puissamment exprimé, l'aumône du bourgeois transperce la main qui la reçoit et brûle le cosmos entier. L'aumône, le don, peut être une autre manière d'acheter, mais là on déplace le capitalisme dans le domaine du « spirituel »... On peut faire l'aumône sans être charitable et l'aumône charitable peut parfois tenir mieux dans une parole que dans une pièce de monnaie ou un plan Marshall contre « la pauvreté » !
L'objet n'est pas ici de donner une leçon, pas plus que de justifier une attitude ou une autre. Une fois de plus, il faut simplement, humblement, jeter un peu de lumière sur les impasses et illusions contemporaines...
Il ne s'agit pas de « dénoncer » tous ceux et celles qui pratiquent la bienfaisance, qui sans le savoir, font grâce au Seigneur dans l'un de « ses plus petits ».
Sans le savoir, sans doute est-ce là le meilleur. Mais, au chrétien, à qui « il a été donné beaucoup » et à qui il sera, donc, « demandé beaucoup » ? celui-ci ne doit-il pas savoir que le Christ n'est pas venu pour instaurer un « ordre social plus juste », que renvoyer à une lecture littérale des Evangiles pour les placer l'instant d'après sous la bannière d'une quelconque organisation politique n'a rien à voir avec la voie chrétienne, que le « sacrement du frère » n'est pas le « caritatif » à l'échelle mondiale, que le Christ nous révèle notre « prochain » quand l'utopisme est l'inquiétude du lointain. Et ne doit-il pas savoir que le discernement spirituel qui permet de discriminer entre l'orgueil hypocrite et la douceur évangélique est inséparable de la gnose, de la connaissance rétablie sans péché ? Or, ceci, si nous ne l'avons pas expérimenté en nous-mêmes nous devons en apprendre les rudiments chez ceux-là qui le vivent, en qui ceci est incarné, les saints, les glorifiés dans le Seigneur !
La charité, dont saint Paul parla si parfaitement, cette agapè qui veut dire « amour », qui est le nom de Dieu, c'est le port que nous devons gagner, l'âme est notre barque, la foi son gouvernail, l'espérance sa voile, le vent qui nous y pousse est l'Esprit Saint...
Pratiquer l'aumône, la charité « active », oui, comment s'y opposer. Mais, précisément, opposer la gnose et la charité c'est s'opposer à la voie et à la vie chrétienne, c'est ne refuser de comprendre que cette « connaissance » seule amène à l'agapè, c'est-à-dire à la transfiguration de l'âme pécheresse en une « âme divine », en l'amour-Dieu qui est, au-delà des critères restrictifs du monde soumis au péché, précisément, le seul et le plus actif !
Celui qui veut connaître son Aimé, ne pas simplement lui être soumis, mais le connaître pour ne faire plus qu'un-dans-la-diversité avec Lui, ce n'est pas lui l'orgueilleux.
Origène, au lieu du gnostikè de Clément d'Alexandrie, utilisait le mot teleioi, qu'on traduit généralement par « parfaits ». Il s'agit bien de ceux qui sont arrivés au but (telos), à l'établissement, à la demeure stable, bâtie sur le roc, sur la pierre que les bâtisseurs, ceux qui croient savoir par leur certitude de la matière, ont rejeté.
L'orgueilleux c'est celui qui veut accomplir lui-même, par des moyens seulement humains (qui, au final, seront inhumain) la justice et la charité, le « bien obligatoire », oubliant que c'est parvenu au « but » seulement, comme teleioi, ou gnostikè, que devient réelle, brulante et efficiente la charité, l'agapè. C'est l'oubli de ce que l'amour ne se décrète pas !
« L'amour n'est pas un nom, c'est la substance divine. »
saint Syméon le Nouveau Théologien
Pour saint Jean Cassien, l'amour n'est pas seulement une « chose de Dieu » c'est « l'être » même de Dieu.
« La connaissance de la vérité procède immédiatement de la stabilité de l'homme dans l'amour. C'est pourquoi la connaissance réelle et plénière de la vérité n'est accessible que par la divinisation de l'homme, c'est-à-dire par l'acquisition de l'amour, qui est le principe et la vie de la divinité. »
Père Justin Popovitch
« Celui qui est parvenu à la charité est enchaîné et enivré; il est immergé dans un autre monde dont il est captif, comme s'il n'avait pas le sentiment de sa propre nature. »
saint Macaire d'Egypte