L’autobiographie, dernière station avant le cimetière

Par Georgesf

J’ai toujours éprouvé une certaine gêne en lisant les autobiographies d’écrivains. C’est un peu comme si je fouillais dans la garde-robe d’une strip-teaseuse.

J’y repense en lisant « Vivre pour la raconter » (Vivir para contarla), l’autobiographie de Gabriel García Márquez. L’auteur sait évidemment bien raconter, il a évidemment bien vécu, est-ce une raison pour raconter ce qu’il a vécu ?

J’admets, j’applaudis, les autobiographies de personnes dépourvues de talents littéraires, quand elles ont vécu une expérience exceptionnelle, intéressante pour les autres (parfois même intéressante pour leur réflexion). Il y a là un témoignage, un éclairage sur l’histoire, un apport à la raison, qu’il faut transmettre. "Jamais sans ma fille", le journal intime de Loana ou les carnets de Jean-Louis Debré, c'est très bien.
Mais quand c'est écrit avec talent, c'est beaucoup moins bien : je suis moins convaincu par "J'avoue que j'ai vécu", et  j'ai parfois des regrets en relisant "Les mots" qui est pourtant un livre de grande qualité.

 

Pourquoi raconter sa vie quand elle mérite mieux que ça ? En lisant García Márquez, on le voit déballer joyeusement ses ancêtres, son village et son folklore, ses vieilles tantes, les émois d’adolescent et les tendres prostituées… on en pleurerait. On retrouve tous les éléments de ses romans dans leur réalité crue : ah, ce n’était donc que ça… Et parfois on soupire, devant un passage fort : quel gaspillage, pourquoi n’en a-t-il pas fait un roman ?

Sur un même sujet, le roman avec ses allègres mensonges est toujours plus envoûtant que l'austère vérité de l'autobiographie. Ce qui m'intéresse dans "Voyage au bout de la nuit", ce n'est pas l'éventuelle part de vécu chez Céline, c'est l'art de la déformer pour la rendre grandiose. C'est le roman de sa vie.

Toute autobiographie de romancier me paraît pathétique : c’est l’illusionniste qui déballe ses accessoires. On sent le vieil homme pressé d’avoir tout dit avant de mourir. Comme s’il ne l’avait pas fait dans son œuvre.

Si un jour j’écris mon autobiographie, ressortez-moi ce billet, mettez-le sous mon nez. J’en respirerai les vapeurs méphitiques et j’en mourrai, c’est promis.