Magazine Cyclisme
Quand Pékin souffre, les JO toussent. "Soufre" devrait-on plutôt écrire, en référence au SO2, ou dioxyde de soufre,
recraché entre autres cochonneries dans l'atmosphère de la capitale chinoise par les industries de la région. Si le régime communiste au pouvoir dans l'Empire du Milieu a bien assimilé la
notion de développement, il ne conçoit en effet comme durable que sa mainmise sur les rouages d'un pays mené à la trique. L'environnement, il s'en fout comme d'une guigne, pourvu que la machine à
produire des yuans tourne rond.
D'ordinaire le citoyen de Beijing, la tête dans le smog, crache, se racle la gorge, les yeux des enfants rougissent, leurs poumons se flétrissent comme des éponges mitées sans que personne ne trouve rien à redire. Mais là, à quelques mois de voir le cirque olympique planter
ses tentes sous le ciel laiteux de la Cité interdite, le CIO s'émeut. Que faire pour éviter que l'air pollué de la métropole chinoise ne vienne gripper les belles mécaniques de nos athlètes à la
complexion si délicate ? Comment se débrouiller pour que les records soient à la hauteur des attentes et que la fête soit réussie ?
Pragmatiques et désireuses de plaire en tous points à leurs honorables visiteurs étrangers, les autorités chinoises envisagent, de
concert avec le Comité international olympique, toutes sortes de solutions. Décentraliser en province certaines épreuves, notamment de fond, pour épargner aux marathoniens, marcheurs ou cyclistes
souffle court, picotements de gorge et autres désagréments engendrés par l'air vicié respiré à longueur d'année par les Pékinois. Jamais à court d'idées radicales, le régime communiste envisage
même d'arrêter purement et simplement l'activité de certains sites industriels pendant les semaines précédant les Jeux et les compétitions elles-mêmes. En d'autres termes, mettre sans autre forme
de procès des pans entiers de la population au chômage technique, pour que la kermesse olympique batte son plein et que la fine fleur du sport mondial s'ébatte insousciente dans une atmosphère
providentiellement épurée.
C'est le principe de la double peine appliqué au petit peuple de Pékin. Les ouvriers peuvent bien le reste du temps s'empoisonner
en paix pourvu qu'ils fassent l'impasse sur quelques semaines de salaire pour garantir au pays de ne pas perdre la face et aux gentils champions de ne pas tousser. C'est une conception comme une
autre de la trêve olympique, qui voyait dans la Grèce antique les belligérants mettre l'arme au pied le temps des Jeux. Là, c'est aux travailleurs que l'on demande de se serrer la ceinture et
d'oublier un peu l'outil de production, qui se trouve aussi hélas être leur gagne-pain. Ils n'auront que plus de temps pour regarder les épreuves à la télévision… Rangez les cadavres dans les
placards, cachez la poussière sous les tapis, c'est le rêve olympique qui passe !