Alors que Novelli poursuit 9 enseignes, Eco89 recense les pratiques abusives des distributeurs envers les fournisseurs.
Depuis les premières épiceries Leclerc ou Mulliez des années 60, la grande distribution n’a cessé de court-circuiter ses fournisseurs. L’adage est simple : vendre beaucoup, mais pas cher. Avec la loi LME (Loi de modernisation de l’économie) supprimant les marge-arrières, les Carrefour, Auchan, Leclerc et consorts ont dû innover. Revue de petits et grands abus.
En metttant fin au système des marges-arrière (pour ceux qui ignorent ce système, lire ici) dans la distribution, le gouvernement pensait faire d’une loi trois coups :
1. Faire baisser les prix dans la grande distribution
2. Créer des emplois dans ce secteur (50 000 estimait alors le gouvernement)
3. Recréer un peu d’équilibre dans le bras de fer opposant fournisseurs et distributeurs
Face à la crise et à l’inertie des enseignes, la DGCCRF (les fraudes) s’est rendue compte que les prix étaient d’une grande stabilité. Avec une légère baisse sur les marques distributeurs (le Yaourt Carrefour) et les premiers prix, mais une hausse sur les marques connues si l’on en croit le dernier relevé d’octobre 2009.
Fin octobre, Bercy a donc décidé d’assigner au civil neuf enseignes pour des pratiques abusives constatées par les agents de la répression des fraudes. Une procédure basée sur l’examen de centaines de contrats, car les témoignages de fournisseurs sont très rares. Si elle parle, l’entreprise a de grandes chances d’être définitivement black-listée.
1La nouveauté 2009 s’appelle rachat de marchandises
L’argument est redoutable : nous achetons vos produits, mais s’ils ne sont pas vendus après quelques semaines, vous les rachetez au même prix.
Une pratique qui semble se banaliser. Avec des différences entre les petits fournisseurs et les grandes marques, ces dernières ayant plus de capacité à refuser ce genre d’arrangement.
1Les pénalités en cas de retard de livraisons
Là aussi, ce genre de clause tend à se répandre : si le produit n’est pas livré à l’heure, de très fortes pénalités viennent sanctionner le fournisseur. Selon Jean-Eudes du Mesnil, secrétaire général de la CGPME, le phénomène est très répandu dans l’agro-alimentaire :
« Ce n’est pas un hasard si le problème est localisé dans cette filière agro-alimentaire. Les fournisseurs ont un besoin encore plus crucial de la grande distribution, qui a un quasi-monopole. Il faut savoir qu’une commune sur deux n’a plus de commerce de proximité. »
1Faire prendre en charge la logistique
Ici, on parvient à une rare sophistication des mesures de représailles de la grande distribution. Une fois le contrat signé -fixant donc le prix de la marchandise- certaines enseignes imposent à leurs fournisseurs le paiement de l’ensemble des charges logistiques :
« Au lieu de livrer un camion plein en palettes, détaille Olivier Desforges, le président de l’Ilec, vous devez livrer la même marchandise en cartons individuels. Bien sûr, les coûts ne sont pas les mêmes. »
1Anecdotique… la libre circulation en magasin
Un fournisseur a eu la désagréable surprise de découvrir une clause lui imposant une « rémunération pour service facilitant la circulation du client en magasin » ! L’histoire ne dit pas s’il faut fournir un GPS, un chien d’aveugle ou un caddy de golf aux clients de ce supermarché.
1L’arme atomique du déréférencement
L’histoire a fait le tour des têtes de gondole. Coca vs Leader Price : qui fait sa loi ? Et bien, c’est l’enseigne low cost qui a obtenu gain de cause.
Refusant une baisse de prix sur son pack 6 canettes, le fabricant de soda s’est fait exclure des rayons des supermarchés. Puis… il a cédé aux demandes du distributeur qui exigeait des prix cassés vis-à-vis de la concurrence.
Autant une marque mondiale peut se permettre de sortir de certains réseaux, en revanche un fournisseur local à qui une enseigne assure un quart ou un tiers de son chiffre d’affaires ne peut pas résister.
Réprimer ou… convaincre ?
Comment en sortir ? L’assignation au civil lancée fin octobre par la secrétaire d’Etat à la consommation, Hervé Novelli, irrite les distributeurs. Olivier Desforges, le président de l’Ilec (qui représente les grandes marques), estime que la Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) peut être le juge de paix du milieu :
« La CEPC peut traiter de litiges en abordant les cas de façon anonyme. Elle formule un avis motivé, qui n’est pas contraignant, mais qui constitue un corps de doctrine. En cas de litige devant un tribunal, cela sert de base. Car l’important, dans ce type de conflit, est d’aller vite : le temps du juge n’est pas celui de la négociation. »
A la CGPME, on est moins enthousiaste sur l’opération grand nettoyage d’hiver du ministre. Jean Eudes du Mesnil y voit surtout un effet d’annonce :
« C’est juste un coup de semonce. Il peut y avoir un vrai contrôle sur ces contrats. Nous réclamons depuis des années, en vain, la mise en place d’un observatoire des relations commerciales, pour avoir un outil de contrôle dans la durée. A chaque gouvernement, on ne voit jamais rien venir, y compris chez Novelli. »