Le premier acte du monarque fut de les convoquer tous dans une vaste prairie, afin d'entendre leurs plaintes. Son intention était de supprimer tous les abus et de rendre tout le monde content.
Quand ils furent réunis, Salomon s'assit sur son trône, imposa silence et donna la parole au premier qui la demanderait. L'homme se leva aussitôt, et se plaignit du serpent, qui, depuis plusieurs siècles, se nourrissait de son sang.
Le serpent en convint, mais il prétendit qu'il était dans son droit, Jéhovah l'ayant autorisé à se nourrir du sang le meilleur.
L'homme répondit qu'il y avait certainement des animaux dont le sang était meilleur que le sien.
En présence de ces deux assertions contradictoires, Salomon chargea le petit insecte qu'on appelle le cousin de faire une enquête, et il lui donna un an pour goûter le sang de tous les animaux.
Le cousin, sans attendre la fin de la réunion, entra aussitôt en campagne.
Juste un an après, comme il se rendait à une nouvelle assemblée de tous les animaux, il rencontra l'hirondelle.
"Où vas-tu ? lui demanda celle-ci.
- Je vais à la réunion. As-tu oublié l'importante mission dont Salomon m'a chargé, l'an dernier ?
- Ah oui ! je m'en souviens. Et quel est le sang le meilleur ?
- Il n'y a pas à hésiter : c'est le sang de l'homme.
- Tu dis ?
- Je dis le sang de..."
L'hirondelle ne lui laissa pas achever sa phrase : d'un coup de bec elle lui arracha la langue.
Quoique muet, le cousin se rendit à l'assemblée, et arriva en même temps que l'hirondelle. Tous les animaux étaient déjà réunis, et Salomon venait de s'asseoir sur son trône.
"Eh bien, dit-il au cousin, quel est le sang du meilleur ?"
Et le cousin de répondre en faisant : ksss, ksss, ksss.
"On ne t'entend pas : parle plus distinctement.
- Ksss, ksss," reprit le cousin.
Tout le monde allait éclater de rire, quand l'hirondelle prenant la parole : "Grand roi, dit-elle, j'ai rencontré le cousin avant l'accident qui l'a rendu muet, et je lui ai demandé que est le sang le meilleur,
- Et qu'a-t-il répondu ?
- Que c'est le sang de la grenouille. N'est-ce pas cousin ?
- Ksss, ksss, ksss, répondit le malheureux.
Le serpent n'était pas content, et il jura de se venger de l'hirondelle qui, d'après lui, aurait dû garder le silence.
Au moment où l'assemblée se retirait, que fait-il ? Il se cache dans une broussaille, et comme l'hirondelle passait près de lui, rasant le sol, il saute avec force pour la frapper, mais il ne saisit que le milieu de la queue. L'hirondelle donne un bon coup d'ailes et en est quitte pour deux ou trois plumes.
C'est depuis lors qu'elle a la queue fourchue.
R. P. DES VALADES - 1896