Magazine Culture
En tant que veilleur, j'ai plusieurs fois constaté une petite chose, certes anodine mais qui, à mon avis, veut dire beaucoup : pas mal de blogueurs n'écrivent pas des "billets" mais des "articles". D'ailleurs, tant qu'on y est, beaucoup d'entre eux intitulent leur blog "Le magazine de...", "Le journal de...".
Cette appropriation des termes journalistiques par des blogueurs m'avait toujours laissé un peu interrogateur. J'ai dit "journalistiques" parce que j'écarte volontairement les autres significations pour me concentrer sur le rapport journalistes / blogueurs, qui est l'un des thèmes de ce blog.
Pour une analyse sémantique plus poussée sur la question, allez donc lire le très bon billet de Pierre Mourotte sur le sujet.
Je m'en faisais la réflexion sur Twitter, et n'étant apparemment pas le seul, @cwmconsulting et moi avons donc eu l'idée de ce billet (article ?) commun sur le sujet, écrit de deux points de vue différents et complémentaires.
Sans avoir la prétention de régler le problème ou de ne dire que des choses intelligentes, je souhaitais donc faire part de quelques pistes de réflexion sur le sujet.
Le billet d'humeur
Il faut d'abord préciser que le terme "billet" employé pour désigner un contenu publié sur ce que l'on appelle un blog (je vais éviter de rentrer dans les définitions de chaque terme...) fait originellement référence au "billet", cette information courte, que l'on retrouve dans les... journaux.
Souvent, ce billet prend d'ailleurs la forme d'un coup de gueule, d'une prise de position, et peut s'étirer davantage en longueur (le billet d'humeur). Des journalistes comme Eric Fottorino ou Pierre Marcelle poussaient régulièrement leur gueulante au Monde ou à Libération.
Car c'est bien à ça que les blogs, ces "journaux" personnels (allez hop, on en rajoute une couche) sont originellement dédiés : raconter sa vie, donner son avis... D'où une certaine dérive narcissique, régulièrement dénoncée par les blogueurs eux-mêmes.
Vers un article d'humeur ?
Alors pourquoi ne pas garder ce terme de "billet" ? Est-ce un simple caprice ou cela correspond-il à un réajustement du terme à de nouveaux usages ? Voici mon hypothèse, version courte :
La presse vit une période difficile : son avenir est incertain, et surtout, son travail est régulièrement remis en cause, critiqué. Le temps de l'information verticale est révolu, le journaliste vacille de son piédestal : les nouvelles technologies ont en effet donné un important pouvoir de contrôle de l'information et d'expression (personnelle et collective) aux citoyens.
Ceux-ci concurrencent directement les journalistes traditionnels, ils se mettent à produire de l'information sous ses formes les plus diverses : billet de blog, vidéo, tweet... Ils sont partout, puisqu'il s'agit de vous et moi, qui sommes connectés, écrivons, commentons le monde qui nous entoure. Souvent, ils sont là où le journaliste n'est pas encore arrivé ; l'information va très vite, il faut savoir être sur tous les fronts à la fois.
Dans cette double perspective, avec d'un côté une profession en pleine redéfinition et de l'autre la montée en puissance de nouveaux acteurs, il est donc logique qu'un terme évolue pour s'adapter à l'objet qu'il désigne.
Tous journalistes ?
Donc, en employant le mot "article", le blogueur se considère de plus en plus comme un journaliste parce qu'il cherche, qualifie, recoupe l'information, écrit. De facto, beaucoup de blogueurs et de journalistes font la même chose. Pas tous, mais beaucoup. Parce que bon, écrire un "article", ça fait plus professionnel qu'écrire un "billet".
Pour autant, demander à l'Etat une part des subventions à la presse (voir le billet de Thierry Crouzet sur le sujet) parce que le blogueur participe de cet écosystème paraît un peu prématuré. Parce que journaliste, c'est quand même une profession, un vrai métier ; des gens qui ne font que ça et qui ont été formés à le faire.
Après, les blogueurs ont-ils raison d'utiliser le terme "article" ? Je ne sais pas.
En tout cas, en tant que veilleur, je continuerai à faire la distinction billet / article, ne serait-ce que parce que la réalité que ces deux termes recouvrent reste encore, à mon avis, très différente (un journal avec ses milliers de lecteurs, ses moyens et ses journalistes professionnels d'un côté, et un blog tenu par un individu, aussi brillant et intégré dans le web soit-il, de l'autre). Reste à savoir pour combien de temps !