Ils réagissent au recueil "Lointitude" de P.Laranco.

Par Ananda
Lointitude, quel beau titre pour une poésie qui prend ses racines dans lez métissage des cultures ! Puisque l’auteure a la chance d’avoir bénéficié d’une naissance multiple, de racines plongeant dans le bagage de trois continents – l’Asie, l’Afrique, l’Europe, avec, de surcroît, le parfum des îles tropicales -, d’un éclairage où se mêlent les soleils du sud et les lumières plus nostalgiques de hivers du nord, "quand le crépuscule d’hiver / se referme avec lenteur / sur l’espace clos" (p.35).

La métrique est libre. Le vers d’amplitude variable. Le spectacle du monde rebondit en interrogations existentielles spontanées, presque sans faire appel à la dialectique rationnelle. Les roses (p.43) sont verrouillées dans leur immédiateté. Les paupières qui se ferment (‘pp.57-58) sont chemins presque instantanés vers "le socle / de la pensée".

En d’autres termes, chez Patricia Laranco, il n’y a pas de séparation nette entre le réel et la pensée, entre "la peau / qui claque aux quatre vents" (p.33) et la "Solitude/ Silhouette seule dans le vent" (p.69), entre le "corps orphelin" (p.67) et le "corps quasi immatériel" (p.54). Partant le "lézardement du réel" (engendre) malaises et questions (p.66). La lecture pourrait s’intégrer aussi bien dans un monisme matérialiste que dans un monisme hégélien. Chez elle, le verbe est ciment entre la matière et l’esprit, entre l’être de chair et l’être dématérialisé, voire le vide, "évasement béant "(p.74) qui pourrait être le terme (bénéfique) de l’être, comme l’ont pensé certaines traditions de l’orient.

Malgré cette gravité apparente du propos, son écriture reste d’une extrême légèreté, qui frôle la grâce, par le canal d’un style particulièrement aérien. (p..58).
La respiration (p.71) s’étire spontanément vers l’infini.
Georges Friedenkraft décembre 2009
in site de La Jointée, recensions de la revue JOINTURE

Lointitude, le recueil de Patricia Laranco, plonge le lecteur, dès son poème liminaire, au centre des problèmes de l'être, dans le questionnement le plus intime. Les trois vers mis bout à bout : " Effacé…dans le mot…par l'exil" en sont une preuve ainsi que les derniers vers  qui sonnent comme un cri : " Le Rien…/ miroir glacé /où l'on ne peut / se reconnaître ". Il s'agit bien de l'abolition de l'être et par là de ses mots et  de son écriture elle- même. L'homme se trouve réduit à un corps, à une voix,  à un visage et cela " au fond du fond de l'univers " dans le silence et l'obscurité.

 

Le ton est donné dès les premiers textes où une philosophie se révèle et s'exprime dans de vraies trouvailles. Nous nous y reconnaissons " tissés d'espace et de temps ".

La poétique de l'auteur se nourrit d'éléments concrets, de la pluie, de la peau et un réalisme tout villonnien fait hurler les loups en plein " crépuscule d'hiver " jusqu'à la roche de Lascaux qui suinte.

Quand l'auteure fouille son imaginaire c'est pour conduire son intimité " jusqu' à la racine de l'univers ". Mais s'il y a geste, nous dit-elle, c'est pour mieux se rétracter ", pour " regagner l'état originel ".

Comment exprimer plus clairement, tout en respectant la part de mystère de la poésie contemporaine, la souffrance humaine et ici celle du vrai poète ?

Il faut attendre le coeur du livre pour y lire l'espoir, celui qui vient par les roses. Sont-elles des roses de l'ailleurs, d'Ispahan? Elles sont, en tout cas, les roses du pays des poètes et elles y " vibrent ", comme plus loin vibre la présence des enfants-rois, du firmament et du pain.

Ainsi les variations surprenantes du ton sont-elles une preuve de plus que le réalisme ne nuit pas à la grande et " belle " poésie. En effet comme les roses – et c'est une surprise de plus – est évoqué un visage qui nous tient lieu de légende tant il est beau, celui de la grand-mère. Chaque lecteur de Patricia Laranco ne peut que s'identifier aux éléments fondateurs de la petite-fille devenue poète.

Malgré ces raisons d'espérer, le mot " vacuité " est un cri de plus mais on n'est pas ici à un paradoxe près comme chez tous les poètes-philosophes. Et cette vacuité n'est-elle pas plénitude en fait ? 

L'écriture permet sans doute, comme dans l'athanor des alchimistes, la résolution des contraires, et contient de quoi stopper le vertige devant le " lézardement du réel " évoqué dans " Sensation ".

Mais " Séquelle " nous dit une fois de plus que rien n'est simple. Le texte  qui le suit, en effet, s'appelle tristement " Solitude " et rime, pour faire sens, avec " Lointitude ",  néologisme éponyme ingénieusement créé.

Ce livre circulaire comme dans les cycles de vie et de mort,  nous fait  retrouver, dans la respiration du poème et dans le souffle de l'écriture, la "présence " évidente et torturante de la non-parole, du non-dit.

Mais nous avons été heureusement apaisés le temps de notre lecture. Avant de refermer ce recueil remarquable par ses trouvailles et son message nous avons compris que tout se fait, se pense à cause du " vague-à-l'âme  ".

 

Aussi Patricia Laranco rejoint-elle l'Olympe des poètes qui, sous d'autres cieux et à d'autres époques, ont défini cet état de l'humanité aux prises avec le " joyau de l' immaculée nuit "et nous ont légué, par l'admirable véhicule de la poésie, leurs souffrances et leurs joies.

Nous ne pouvons que l'en féliciter chaleureusement.

 

 

Par FRANCE BURGHELLE REY - 0 - Voir le commentaire - Voir les commentaires Janvier 2010
in
Le Blog de France Burghelle-Rey








Voici,

Chère Patricia,

un petit texte inspiré de ton livre.

Je m’y suis hasardé sans réserve

en pensant au plaisir

de te conter mon voyage…

de «  lointitude  » en  proximitude

apprendras-tu les mots à se dire

avant que tu les aies connus

ou bien apprendront-ils à te dire

après que tu aies cessé de te reconnaître 

à l’heure de l’obscure incertitude

quand la nuit aura noirci la page

en effaçant ce visage

qui n’arrive plus à te ressembler

et que tu t’abandonnes au doute

en cette fuite d’identité ?

l’absence de sommeil qui te prive de rêve

t’épargne les cauchemars que tu redoutes

un besoin d’amplitude

t’aurait fait pousser des ailes

si seulement la transhumance

avait souhaité ton envol

comme si par impossible

tu ne visais plus loin

l’errance circulaire

n’aura raison de tes phantasmes d’odyssées

même si dans l’asile il en est des myriades

à tourner en rond

au grand jamais privés

d’un horizon quelconque

plonger dans le vide des mots

est toujours un sursis pour les esprits fragiles

dont tu ne seras

un trop-plein de dignité

t’épargnera le pire

et tu rendras du souffle

aux pensées qui expirent

sans te laisser piéger

par de gluants mirages

recruter des bandes de mots

qui ne transigent pas

et reprendre à zéro

pour être originel

renoncer à l’infini

du moins provisoirement

et porter le fer dans tout

ce qui trop vite prolifère

surtout s’il s’agit

de poèmes qui blasphèment

en misant sur une ressemblance

avec des mots à double tranchant

des mots en transes qui dansent

sur l’air du temps des tourmentes

avant de sombrer dans un grand vide pathétique

de sens et de socle

la poésie étant cette enfant

à laquelle il faudra apprendre à parler

pour mériter le droit de se taire

et cetera…et cetera…

«  On pense au silence. » 

qui pour peu

simulerait la somnolence

pour ce divin plaisir de prêter l’oreille

- lui qu’on disait s’en être amputé -

aux remous de ton verbe

les lignes de ton temps

s ‘échappent de ta main

une part de ta vie

a mis le cap sur l’exil

à des myriades d’années-lumière

de ce corps désormais superflu

de l’angoisse dans la solitude

à la rassurance dans la multitude

au seuil des « lointitudes »

farouchement singulières

férocement plurielles

mais avant tout

éperdument uniques

avec dans le rétroviseur

à peine qu’on devine

la ronde des semblables

si peu préparés à te suivre

mais qui un temps pourront survivre

dans la délectitude de tes mots

Louis SAVARY