L'histoire: Je ne crois pas que les chemins se croisent par hasard. Je ne crois pas au hasard. Je crois à la chance. Et aux rencontres qui viennent à l’heure juste. Lorsque le temps y consent.
Katerina Fotinaki est la « petite » soeur que j’aurais voulu avoir, même si sa maturité et son exigence artistique et humaine me font souvent oublier son âge.
Ce n’est pas la Grèce qui nous réunit mais l’amour fou que nous éprouvons pour notre langue maternelle (c’est elle notre vraie patrie), et ses poètes, ainsi qu’une passion pour nos guitares. Et je vous passe nos fous rires… Pour parler d’elle j’ai envie de paraphraser O. Elytis qui disait à propos de la poétesse Sappho dans son introduction à son livre, qu’il la sentait comme « une cousine lointaine avec qui je jouais dans les mêmes jardins, autour des mêmes grenadiers, au-dessus des mêmes puits… ». Katerina et moi parlons avant tout la même langue. J’entends par là : celle de la Musique.
Si nous avons décidé de vous livrer un album enregistré en public (à l’exception d’un seul chant « Xenitemeno mou pouli »), c’est parce que nous avons choisi de privilégier la spontanéité et l’émotion, plutôt que la perfection technique. Nous avons laissé ainsi l’empreinte de quelques improvisations, inflexions de voix qui ne se passent que sur scène où nous sommes à la fois forts et fragiles. Ce sont des petits « miracles » qui se passent rarement lorsqu’on enregistre en studio, où l’on sait qu’on a toujours la possibilité de recommencer si l’on n’est pas satisfait. Sur scène il n’y a pas ce « filet ».
Nous avons aussi laissé certains textes que je dis en français lors de mes récitals et que beaucoup de personnes regrettaient de ne jamais trouver sur les albums. Je ne crois pas me tromper en pensant qu’il s’agît, là-aussi, de musique. Plus intime sans doute mais qui permet aux chants (et aux gens…) de respirer tout en éclairant le public qui ne parle pas le grec.
Nous avons enlevé, en revanche, les applaudissements car il faut avouer qu’à la longue ils peuvent « agacer » et empêcher d’écouter la musique dans sa continuité.
Voici donc cette promenade musicale « nocturne » puisque la nuit est propice à l’audace, aux rêves et aux surprises. Le temps s’arrête, la vue n’est plus souveraine ; elle s’avoue vaincue et laisse la place aux autres sens.
De ce jardin intime, frémissant, mystérieux et odorifère s’échappent les souvenirs des plaisirs diurnes, des résonnances, qui font pousser nos chansons comme des fleurs au pied d’arbres imposants mais protecteurs : nos compositeurs et poètes aimés. Odysseus Elytis, Sappho, Manos Hadjidakis, Ghiorgos Kouroupos, Léo Ferré, Barbara… Mais aussi des chants traditionnels magnifiques qui parlent de douleur et de nostalgie ;nous les redécouvrons en oubliant presque nos racines (et les leurs, si profondes, si intimidantes). Et nous voilà redevenues petites filles irrévérencieuses et quelque peu provocatrices. Car, tout est permis dans un jardin la nuit…
Angélique Ionatos
*Manos Hadjidakis (1923-1996) a écrit pour le cinéma et le théâtre. Il a reçu un Oscar pour la musique du film « Jamais le dimanche » de Jules Dassin. Son œuvre est à la fois populaire et savante. C’est un des plus grands compositeurs grecs, avec Mikis Theodorakis, mais contrairement à l’œuvre de ce dernier – qui est l’autre pilier de la musique néo-hellénique – celle de Hadjidakis reste méconnue en France et en Europe occidentale en général. Il était un grand ami de Nino Rota, Nicolas Piovani et Astor Piazzola.