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LA PROMESSE DE L'AUBE
J'ai une fascination énorme pour Romain Gary depuis que j'ai lu La vie devant soi, aussi le récit de sa vie m'a beaucoup intéressée.
J'y ai trouvé beaucoup d'humour, d'auto-dérision à la mine de rien, comme si l'auteur aimait se moquer un peu de lui-même, j'aime beaucoup cet esprit et j'ai énormément ri tout au long du récit. Grand moments de poilade entre autres avec ses efforts désespérés pour être à la hauteur des attentes et des convictions de sa mère et lui faire plaisir plus jeune, et en constatant que ce besoin d'agir en fonction de la volonté maternelle l'a poursuivi une fois adulte, a grandement influencé sa vie, qu'il en était conscient et qu'il n'y pouvait rien.
Et alors que je m'étonnais de cet humour que je ne m'attendais pas à trouver ici, j'ai eu confirmation quelques chapitres plus loin que je ne me leurrais pas:
"... je découvris l'humour, cette façon habile et entièrement satisfaisante de désamorcer le réel au moment même où il va vous tomber dessus. L'humour a été pour moi, tout le long du chemin, un fraternel compagnonnage; je lui dois mes seuls instants véritables de triomphe sur l'adversité. Personne n'est jamais parvenu à m'arracher cette arme, et je la retourne d'autant plus volontiers contre moi-même, qu'à travers le "je" et le "moi", c'est à notre condition profonde que j'en ai."
Touchée également dans ce récit par ce grand amour filial qui transparaît tout le long, que j'ai trouvé très beau, quelle mère extraordinaire, quelle femme incroyable! J'ai beaucoup aimé cette phrase qui résume tout dans leur relation:
"Rien ne pouvait m'arriver, puisque j'étais son happy end."
Ça c'était la première partie, et, à vrai dire le fil conducteur de ce récit dans son ensemble, mais arrivée à la partie "guerre", mon intérêt a un peu lâché... (ça présage trop mal pour Guerre et Paix ), même s'il y avait toujours la mère en arrière-plan. Cette partie du récit est certes un hommage aux illustres inconnus, un témoignage précieux et instructif d'une époque, d'un vécu, l'angle de vue est d'autant plus intéressant qu'il était aviateur pendant la guerre, et le récit de ses incroyables (més)aventures ne peut laisser indifférent, mais mon coeur n'y était pas.
Je retiens de ce livre un récit de vie touchant, fort, un grand hommage d'un fils à sa mère.
Il y a beaucoup de remarques perspicaces que Romain Gary évoquent par ailleurs, qui suscitent la réflexion, il porte un regard véritablement intelligent et lucide sur la société et ce qui régit nos vies, notre condition de pauvres humains, j'ai adoré son discours sur les psy, sur les dieux qui régissent ce monde, quelle fabuleuse image dont j'ai repris ci-dessous les principales lignes:
"Il y a d'abord Totoche, le dieu de la bêtise, avec son derrière rouge de singe, sa tête d'intellectuel primaire, son amour éperdu des abstractions; [...] sa ruse préférée consiste à donner à la bêtise une forme géniale et à recruter parmi nous nos grands hommes pour assurer notre propre destruction.
Il y a Merzavka, le dieu des vérités absolues, [...]; chaque fois qu'il tue, torture et opprime au nom des vérités absolues, religieuses, politiques ou morales, la moitié de l'humanité lui lèche les bottes avec attendrissement; cela l'amuse énormément, car il sait bien que les vérités absolues n'existent pas, qu'elles ne sont qu'un moyen de nous réduire à la servitude [...].
Il y a aussi Filoche, le dieu de la petitesse, des préjugés, du mépris, de la haine - penché hors de sa loge de concierge, à l'entrée du monde habité, en train de crier "Sale Américain, sale Arabe, sale Juif, sale Russe, sale Chinois, sale Nègre" [...]
Nous sommes aujourd'hui de vieux ennemis et c'est de ma lutte avec eux que je veux faire ici le récit;" (magnifique cette phrase de conclusion!)
Autre réflexion que j'ai trouvée intéressante:
"Personne ne me fera jamais voir dans le comportement sexuel des êtres le critère du bien et du mal. [...] A côté des aberrations intellectuelles, scientifiques, idéologiques de notre siècle, toutes celles de la sexualité éveillent dans mon coeur les plus tendres pardons."
Il va sans dire que je compte continuer à explorer l'univers de Romain Gary!