Parce que j’aime pas mes semblables

Le lendemain, j’avais de nouveau un nombre d’heures illimités devant moi, et un million de choses à faire pour les occuper.

Heureusement, quand vous êtes jeune et que vous vous emmerdez par un temps merdique, autant aller aux Halles. Franchement, il faut voir le nombre de jeunes qu’il y a au kilomètre carré, habillés n’importe comment et regroupés comme si il leur était impossible d’agir autrement que comme des moutons.

Ce sont tous des poseurs. Ils viennent ici parce qu’ils n’ont pas grand chose d’autre à faire. Comme moi. J’avoue que l’idée de suivre le mouvement s’avéra être très tentante. Mais, entre temps, il a fallu que je traverse le bain de foule en sortant du métro, puis que je fende cette même foule en arrivant dans le centre commercial, et qu’enfin je bataille pour une misérable place dans l’escalator, et une fois dehors, les adolescents me sortaient par tous les trous. Je veux dire, on les voit partout! Tenez, là, aux Halles, impossible de ne pas tomber sur un, ou carrément toute une meute de cette espèce, à regarder les passants comme de la merde alors qu’eux mêmes ne valent guère mieux.

Il suffit de se balader dans la rue, de poser son regard sur un kiosque à journaux ou une affiche et hop, 70% du temps on tombe sur un de ses satanés teen-movie, vous savez, et quand ils sont américains on y voit forcément des adolescents de 30 ans boire du jus d’orange dans des gobelets rouges pour faire genre c’est de la bière, vivre des histoires d’amour terriblement tragiques empêchées par des parents siliconées et botoxés de partout pour ressembler eux aussi à des ados et tout le monde est beau et parfait, même les profs!

Pourquoi faut les voir partout alors qu’ils ne représentent qu’une minorité? Je ne vois pas ce qui passionne tant les adultes au point d’en faire quantité de bouquins, films, et autres. Je veux dire…qu’est-ce qu’il y a d’intéressant à se retrouver envahi tout d’un coup de pustules, à passer du stade « enfant innocent  » à  « monstre » avec poils et grosse voix, à vouloir des choses d’adultes tout en gardant ses faiblesses de gamins et surtout à suivre des directives imposées en ayant l’illusion de se rebeller?

Le pire, c’est quand je vois toutes ces gamines qui portent le même jean que moi, le même t-shirt soi disant original, mes superbes lunettes et quelquefois ma coupe de cheveux. Ca me rend dingue. Je n’ai qu’une envie, sortir en ne portant que mon soutif et ma culotte. Au moins, comme ça, je suis sure d’être unique.

Mais je ne le fais pas. Alors, je trouve ça vraiment triste , surtout quand je demande  comment nous, les ados, avons bien pu devenir de tels clones. Même moi qui me prétend pas comme les autres, je suis le mouvement de temps en temps.

Dans ces cas-la, ça me conforte qu’A. et O. pensent comme moi. On est toutes d’accord sur ce point: les ados, en général, nous font chier et on en a marre d’être traitées comme des bombes à retardement par nos parents qui ont trop vu de documentaires à la télé présenté par des pseudos psychiatres. Tant de dangers menacent leurs pauvres petites filles que c’en est risible.

Pour les parents d’O., par exemple, leur fille n’a pas à sortir et doit se concentrer exclusivement sur les études pour s’assurer un bon avenir. Océane paraît petite et menue, le type de fille qu’on a envie de prendre dans ses bras et de protéger du monde entier et de ses dangers, le type de fille qui vous surprend en vous protégeant de ses fameux dangers extérieurs.

La pauvre est obligée de composer avec la mentalité néolithique de ses parents, ce qui ne l’empêche pas, heureusement, de s’amuser. Chaque fois qu’on doit sortir, elle leur raconte qu’elle va dormir chez moi ou chez A., prétextant un « exposé qu’on a pas terminé » et à chaque fois j’imite la voix d’une de nos mères, elle aussi « très à cheval sur les sorties de sa fille » mais qui assure « qu’elles ne feront que dormir ». Compte la dessus et bois de l’eau, pour nous se sera un peu plus fort….