Symphonie déconcertante

Publié le 07 novembre 2007 par Jlhuss

par Arion

On paie cher le plaisir de monter placidement le grand escalier moquetté vieux rose ; de se caler comme chez soi dans le velours des fauteuils d’orchestre ; de jeter un œil d’indulgence sur la fresque de la coupole, le lustre, les petits jeunes perchés dans la galerie ; de feuilleter le journal du matin, tandis que les musiciens entrent en bureaucrates et s’accordent. On n’est pas blasé, on prend de l’âge.

Dans le plaisir d’être au concert , il faut renoncer à démêler la part revenant à Haydn ou Mahler, et celle qui tient au chatouillis d’occuper une place de première catégorie avenue Montaigne. Bien sûr vous aimez la musique, vous croyez même vous y entendre un peu ; vous bisserez, s’il le mérite ce soir, le virtuose fêté le mois dernier à Carnegie Hall. Si le tempo languit dans une œuvre ressassée, vous perdez volontiers le fil de l’art. Vous voyez du chimpanzé dans le premier violon, du Neandertal dans le percussionniste. Vous remarquez le corniste en train de vidanger son cuivre ; ça vous rappelle que le plombier passe demain avant dix heures ; puis la pensée de vos artères : serez-vous sur pieds au printemps pour l’intégrale des concertos de Brahms ? Au reste vous ne jugez pas pendables la tousseuse et le suceur de pastille. Vous n’êtes pas intégriste, vous savez ce qu’est un larynx.

Tout à coup monte une phrase bouleversante au hautbois, légère comme une mésange, pure comme une âme absoute. Elle déchaîne -Dieu sait pourquoi- un final d’Enfer, et ce fracas réveille la dame à chignon dont on regardait plonger la nuque deux rangées devant. C’est justement le moment d’applaudir. La dame à chignon le fait à tout rompre, veut lancer une standing ovation. Trois rappels suffiront, puis levons-nous en effet, mais pour sortir. On n’est pas difficile par plaisir, c’est le plaisir qui est difficile.

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