Le dessalement est un leurre. Pour préserver l'eau, la seule vraie méthode est de moins la polluer et de rationaliser son usage.
Stephen Hawking est loin d'être un demeuré. Chacun en est convaincu. Pourtant, en 2006, lorsque le célèbre scientifique déclara en Chine, devant une assistance composée pour l'essentiel d'étudiants et d'enseignants, qu'il était “très inquiet du réchauffement climatique” et que la Terre “pourrait finir comme Vénus, avec une température de 250 °C et des pluies d'acide sulfurique”, sa prédiction catastrophiste disparut des radars médiatiques et culturels au bout de quelques semaines seulement. Car enfin, pourraient argumenter certains, l'idée de voir notre Terre verdoyante se métamorphoser en un cauchemar environnemental tel que Vénus, dont les océans se sont évaporés il y a des millions d'années, va au-delà de la science-fiction. Il s'agit d'une transformation à ce point sidérante et apocalyptique qu'elle ne peut être appréhendée, et encore moins être vraie.
Pourtant, Hawking n'est pas le seul à parler ainsi. Nombre d'autres lui font écho, notamment parmi les scientifiques et les militants qui surveillent avec attention la situation précaire de l'eau sur notre planète. Au nombre de ceux-ci se trouve Maude Barlow, auteur de Blue Covenant: The Global Water Crisis and the Coming Battle for the Right to Water [Le pacte bleu : la crise mondiale de l'eau et la future bataille pour le droit d'accès à l'eau], mais aussi fondatrice du Blue Planet Project et présidente nationale du groupe de défense Council of Canadians. “Je redoute que la crise mondiale de l'eau ne détruise toute vie sur Terre si l'on ne s'en occupe pas très rapidement”, avoue-t-elle.
Le dessalement étanche surtout la soif d'argent
Or, dans le cas de la pénurie d'eau qu'on nous prédit, contre qui devons-nous défendre la planète ? La réponse est encore et toujours la même : contre nous-mêmes. Et la façon de le faire reste le sujet de vastes débats et controverses, notamment depuis que des sécheresses permanentes ont commencé à affecter l'Australie, les Etats-Unis et d'autres pays, provoquant pénuries, famines, troubles sociaux et autres. En raison de la diminution des précipitations et du niveau d'enneigement consécutive au réchauffement global, de nombreux pays se tournent vers le dessalement de l'eau de mer pour assurer leur approvisionnement en eau potable. Le processus paraît relativement simple : plus de 70 % de la planète sont couverts d'océans, il n'y a donc qu'à retirer le sel de l'eau de mer et remplir nos citernes. Et, de fait, les usines de dessalement sont en train de se multiplier dans le monde entier.
“Des compagnies privées ont dans leurs cartons plus de vingt-cinq projets d'usines de dessalement de l'eau de mer pour la seule côte californienne”, souligne Wenonah Hauter, directrice exécutive de l'organisation environnementale et groupe de défense des consommateurs Food and Water Watch, basé à Washington. “La plupart de ces projets sont situés à proximité des derniers corridors de nature sauvage, dans lesquels le manque d'eau a limité le développement.”
En d'autres termes, si le monde entier s'apprête à accélérer la construction d'usines de dessalement dans les années qui viennent, ce n'est pas seulement parce que les gens ont soif. C'est surtout parce qu'il y a beaucoup d'argent à gagner dans ce domaine. Et savoir si ces constructions entraîneront progrès et salut est une tout autre question. Il vaut d'ailleurs la peine de noter que ces projets prolifèrent non pas dans les régions les plus assoiffées, mais là où il y a de l'argent. “Gouvernements et grandes entreprises se tournent vers le dessalement comme vers une solution miracle, souligne Barlow. C'est compréhensible de la part du secteur privé : il y a énormément d'argent à gagner grâce à l'or bleu. Mais le fait que les gouvernements ne prennent pas de recul pour examiner plus sérieusement cette soi-disant solution miracle est un énorme problème.”
“Nous détruisons le cycle hydrologique”
C'est en effet un problème, mais cela se comprend parfaitement, car une étude plus poussée entraînerait lesdits gouvernements vers des terrains sur lesquels ils préfèrent probablement ne pas s'aventurer. Surtout à la lumière des conclusions d'une série de recherches récentes, qui indiquent que le réchauffement mondial est en train d'accroître exponentiellement l'acidité des océans. Et c'est ce phénomène, précisément, qui pourrait nous conduire tout droit vers le cauchemar annoncé par Hawking. Comme l'a indiqué récemment Les Blumenthal dans les journaux du groupe McClatchy, “les océans, qui absorbent chaque jour 25 millions de tonnes de dioxyde de carbone, sont d'ores et déjà 30 % plus acides qu'ils ne l'étaient au début de la révolution industrielle. A la fin de ce siècle, l'augmentation de l'acidité pourrait atteindre 150 %”. Et, à la différence des changements de températures atmosphériques, qui peuvent être modulés par la baisse des émissions de carbone et d'autres méthodes, l'acidification des océans constitue pour l'humanité un voyage vers l'enfer pratiquement sans retour. Il est bien sûr possible d'inverser cette acidification, mais cela prendra quand même la bagatelle de quelques milliers, voire millions d'années.
Ce qui amène donc à la question cruciale : les efforts mondiaux déployés pour le dessalement de l'eau de mer – efforts déjà compromis par les gaspillages et les échecs techniques – prennent-ils en compte la spectaculaire augmentation du taux d'acidité des océans ? Réponse : pas vraiment.
“Je ne pense pas que les partisans du dessalement aient pris en compte l'acidification des océans qui résultera des quantités croissantes de saumure qui seront rejetées à la mer, observe Barlow. Pour chaque unité d'eau douce obtenue au terme du processus de traitement, une unité égale de saumure toxique sera rejetée à la mer. Aujourd'hui, les usines de dessalement existantes produisent 19 millions de mètres cubes de déchets chaque jour. Or on prévoit que la production des usines de dessalement aura triplé en 2015, ce qui du même coup multipliera par trois les rejets de saumure et donc l'acidification des océans.” Et il n'est question là que du processus de dessalement, pas des différents processus naturels que la crise climatique a introduits dans nos existences en voie d'assèchement accéléré. A mesure que la planète se réchauffe, les océans absorbent de plus en plus de dioxyde de carbone et autres gaz à effet de serre, qu'ils réchauffent et rejettent sommairement dans l'atmosphère, entraînant un cercle vicieux destructeur. Au bout du compte, il est bien possible qu'après avoir dessalé à tour de bras, nous ne finissions par recueillir guère autre chose que de l'acide. Comme l'a dit à Blumenthal l'océanographe Richard Feely, qui travaille pour la National Oceanic and Atmospheric Administration, basée à Seattle, “tous les indicateurs laissent prévoir des effets importants. La totalité de l'écosystème pourrait à terme en être modifiée.” “Le dessalement n'est pas une réponse sérieuse à la crise mondiale de l'eau”, conclut Barlow. Hauter est du même avis : “Au lieu de résoudre les problèmes de pénurie d'eau, le dessalement est une technologie coûteuse qui pourrait entraîner de nombreuses conséquences indésirables. Nous ferions beaucoup mieux de prendre les mesures nécessaires pour cesser de gaspiller, polluer ou détourner l'eau.” Et, si protéger et gérer de façon plus consciencieuse et plus efficace les ressources hydriques qui nous restent ne constitue sans doute pas pour les capitalistes et les technocrates une option aussi “sexy” que celle du dessalement, elle est jusqu'ici la proposition la plus économique et la moins dangereuse. “A cause de notre mauvaise gestion, nous sommes en train de détruire le cycle hydrologique”, prévient Barlow. Et l'on peut désormais ajouter, au moins sur le court terme, le dessalement à la liste déjà très longue des exemples de mauvaise gestion.
Scott Thill, AlterNet