Le gouvernement voudrait qu’il y ait 30% de boursiers en Grandes Ecoles, ce à quoi leurs directeurs répondent que les quotas diminuent le niveau du recrutement, ils sont désignés à la vindicte populaire. Curieux, me suis-je dit : les grandes écoles se sont toujours affirmées élitistes, or, brutalement, elles sont accusées de l’être ! Et pourquoi les boursiers n’arrivent-ils pas à entrer en Grande Ecole : du temps de mes parents, c’étaient les meilleurs élèves ? Pourquoi la discrimination réussirait-elle en France alors qu’elle échoue aux USA ?...
Un problème mal posé
J’ai voulu creuser la question (la suite repose principalement sur : Les grandes écoles incitées à repenser leurs concours - LeMonde.fr). En fait le raisonnement suivi implicitement semble être :
- les grandes écoles fournissent les positions sociales les plus désirables ;
- l’on veut que ces positions ne reviennent pas de fait aux enfants de ceux qui les détiennent déjà, qu’il y ait un certain brassage de la société ;
- les matières qui servent à la sélection des élèves des grandes écoles (de l’orthographe aux mathématiques, selon Mme Pécresse) favorisent les enfants aisés.
Rien dans ce raisonnement ne va de soi. Les hypothèses qui le sous-tendent paraîtraient contre nature partout ailleurs qu’en France. Elles expriment, en particulier, la vision d’un monde organisé comme une bureaucratie.
Implicitement, l’objectif du gouvernement serait de revenir à la situation des années 50 où, d’après un député PS cité par l’article, 29% des diplômés de grandes écoles étaient de milieux populaires (définition ?), contre 9 aujourd’hui.
Comment expliquer ce revirement ? Les mathématiques, les langues, la culture générale étaient-ils moins discriminants dans les années 50 ? Ou l’éduction nationale ne sait plus les enseigner à tous comme jadis. Il semblerait que Mme Pécresse en vienne à se demander si elle n’a pas parlé un peu vite : « il faut repérer les talents, comme cela se faisait sous la IIIème République et les faire grandir ».
Mais elle dit aussi « qu’il faudrait réfléchir à des épreuves qui valoriseraient l’intensité du parcours du jeune, son mérite réel ». Comment évaluer objectivement un mérite ? (Que signifie « mérite » ?) Les critères de sélection du mérite ne sont-ils pas beaucoup plus facilement manipulables que les mathématiques ?
D’ailleurs, dans l’inconscient français le mérite est inné, l’Education nationale est là pour l’identifier. Dans l’inconscient anglo-saxon, le mérite se démontre par la réussite de l’action individuelle, l’école doit (éventuellement) apporter des outils utils à l’élu. Sans le dire nous sommes en train de basculer d’un modèle vers l’autre. Si nous le faisons, il faudra procéder avec prudence : le système américain est, selon nos critères, inacceptablement inégalitaire. Il tend, paradoxalement, à être un régime d’héritiers.
En résumé, le problème que pose implicitement le gouvernement semble être :
- Faut-il conserver le modèle culturel français traditionnel, et alors comment ramener l’éducation nationale à son niveau d’efficacité des années 50 ?
- Faut-il adopter un nouveau modèle culturel ? Lequel ? Comment l’adapter chez nous sans qu’il ait des conséquences que nous refusons ?
L’erreur est humaine…
Au fil de ses réformes, l'algorithme suivant paraît expliquer le comportement du gouvernement :
- Il identifie un problème, trouve un coupable qui en serait la cause (mais pourquoi ne l’avait-on pas vu plus tôt ? se dit-il, que le monde est donc stupide !) déclenche une guerre civile, et découvre alors que le dit coupable n’est que la partie émergée d’un phénomène extrêmement complexe.
- Surtout, il semble schizophrène : il parle d’un retour à la IIIème République, tout en rêvant de basculer dans le modèle anglo-saxon.
Qu’a donc appris l’Education nationale à nos gouvernants ? à penser ? à agir ? Est-ce ses critères de sélection ou son enseignement qu’il faut réformer ?
Compléments :
- C’est Hervé Kabla qui m’a lancé dans cette réflexion.
- Au passage, un exemple de changement réussi, à la française : « l’objectif de 30% de boursiers en classes préparatoires, déjà atteint en partie grâce au relèvement du seuil d’obtention des bourses ». (Les grandes écoles dans la tourmente.)