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Réadmission d’Afghans vers la Grèce: le TA de Paris fait de la résistance (TA de Paris, 15 décembre 2009, MM. A.)

Publié le 11 janvier 2010 par Combatsdh

Dans un jugement du 15 décembre 2009, le tribunal administratif de Paris confirme au fond la position de son juge des référés en annulant une décision de réadmission d’un demandeur d’asile afghan vers la Grèce compte tenu “de la persistance de lacunes structurelles graves dans la pratique grecque en matière d’asile” qui “doivent être regardées comme attestant de manière sérieuse et non ponctuelle la méconnaissance en Grèce de règles et principes que le droit international garantit aux demandeurs d’asile”.

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Rappelons que depuis 2007, les associations tentent d’obtenir du ministère de l’immigration un moratoire des renvois vers la Grèce où le système d’asile est très défaillant. Les préfets continuent pourtant de prononcer la réadmission de demandeurs d’asile vers la République hellénique.

Le juge des référés du TA de Paris a dès avril 2009 clairement estimé, sur la base de la note du HCR du 15 avril 2008 et du rapport établi le 4 février 2009 par Thomas Hammarberg commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, que le système d’asile grec souffre de lacunes graves et que le préfet portait une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile en n’utilisant pas la faculté prévue par la Constitution (article 53-1), le règlement Dublin II (article 3-2) et la loi (article L.741-4 du CESEDA), de prendre la responsabilité de l’examen de la demande (TA de Paris, du 20 avril 2009, n°0906455/9- voir les extraits d’une demi-douzaine de décision en ce sens à la fin de ce billet de juillet 2009).

Néanmoins, le juge des référés du Conseil d’Etat, saisi en appel de certaines de ces ordonnances de référé-liberté, les a annulées et a rejeté, parfois au tri, les recours contre les ordonnances défavorables aux demandeurs d’asile “dublinés”. Dans ces décisions, les juges des référés du Conseil d’Etat estiment “qu’il ne résulte pas de ces pièces que les conditions d’examen des demandes d’asile en Grèce feraient obstacle à une réadmission vers ce pays, le préfet n’a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d’asile” (CE, 14 mai 2009, N°327792) ou encore “que dès lors que la Grèce est un Etat membre de l’Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 complété par le protocole de New-York qu’à la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, M. M ne saurait utilement se prévaloir, au surplus en des termes aussi généraux qu’il le fait des modalités d’application des règles relative à l’asile par les autorités grecques pour prétendre, que sa réadmission en Grèce serait constitutive d’une atteinte grave à son droit d’asile; qu’en l’absence de toute justification de la part de M. M. tant en première instance qu’en appel, des mauvais traitements qu’il prétend avoir subis en Grèce, le préfet de police n’était pas manifestement tenu de faire application en sa faveur de la clause humanitaire qui serait permis de retenir la compétence de la France pour instruire sa demande d’asile” (CE, tri, 5 août 2009, N°330252; CE, réf., 30 septembre 2009 n°332310 v. les décisions à la fin de ce billet).

Il est bien entendu impossible à un demandeur d’asile passé par la Grèce d’alléguer personnellement du risque de mauvais traitements ou de non respect au droit d’asile en cas de réadmission vers ce pays puisque les déficiences en matière d’asile y sont structurelles et systémiques.

Les décisions du Conseil d’Etat interrogent sur le respect de l’article 53-1 de la Constitution qui permet à la France de toujours accorder l’asile conformément à la dérogation prévue à l’article 3-2 du règlement communautaire n° 343/2008 du 18 février 2003.
Ces considérations conduisent heureusement, dans le cadre de l’examen au fond d’une requête, le tribunal administratif de Paris à annuler des décisions de réadmissions vers la Grèce de demandeurs d’asile afghans.

Il note qu’il résulte du rapport de visite du 4 février 2009 du commissaire européen aux droits de l’homme la persistance de “lacunes qui mettent en péril le droit fondamental de demander et de bénéficier de l’asile ainsi que le problème chronique du manque d’interprètes dans le système d’asile grec et à l’impossibilité d’accéder à une assistance juridique publique aux premiers stades de la procédure d’asile et relève, de surcroît, la condamnation de la Grèce par la Cour européenne des droits de l’homme le 11 juin 2009 (voir  “Grèce: les conditions de détention des étrangers sont dégradantes (rapport CPT et CEDH 11 juin 2009 SD c/ Grèce)“, CPDH, 3 juillet 2009).

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Notons que la Cour européenne des droits de l’homme a, une nouvelle fois, condamné le 26 novembre 2009 la Grèce en raison des conditions de détention des étrangers en Grèce dans une espèce qui concernait, qui plus est, un migrant afghan (v. N. Hervieu, “Rétention des étrangers : nouvelle condamnation de la Grèce pour un migrant afghan (CEDH, 26 novembre 2009, Tabesh c. Grèce)”, CPDH, 27 novembre 2009).

Après avoir annulé les décisions de réadmissions, le TA de Paris enjoint le préfet de Police à mettre les intéressés à même de présenter une demande d’admission au séjour au titre de l’asile en France dans le cadre de l’application de la procédure “normale” d’asile (v. en ce sens  : G. Sadik, “Le Conseil d’Etat désavoue le Ministre de l’Immigration sur les Afghans de Nîmes (CE, réf., 17 décembre 2009, M.S.K)”, CPDH, 21 décembre 2009).

Un très grand bravo à Me Christophe Pouly pour ces belles décisions et espérons qu’elles seront confirmées en appel, si le préfet de Police fait appel.

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TA Paris, 3ème chambre de la 3ème section, 15 décembre 2009, MM. A., n°912 495 et n°912 492- 3/3


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