D’un coup de balai j’aurais voulu chasser la nuit. Lui signifier ainsi que je ne voulais pas que mon ami orangé et lumineux s’en aille déjà.
Elle a rit au moment ou s’allumèrent les lampadaires. Que pouvais-je répondre à ses traits d’humour ?
Je me suis décidé à remonter la ruelle sordide qui menait à mon logement pitoyable.
J’aurais voulu avoir un héraut qui galoperait au château en soufflant dans son cor pour annoncer la venue de celui qu’un parterre de courtisans attendait tous impatiemment. Au lieu de cela seuls mes jurons m’ouvriraient la route et les chaînes du câble me flatteraient et me présenteraient leurs respects.
J’ai pourtant l’impression d’être un Roi, après 4 pintes au pub, et de mériter une existence de rêve. Une vie pareille à un conte de fée dans laquelle tout me réussirait sans que je n’ai le moindre effort à faire. Alors pourquoi ma femme me répète sans cesse que je ne suis que la 5ème roue du carrosse ?
Si j’avais du courage, après 25 ans de mariage, et l’assurance qu’elle ne me quitterait pas sur le champ, je lui dirais volontiers : « Eh ben si je suis la 5ème roue du carrosse, toi t’as tout de la citrouille que la fée a transformée en voiture ! ».
Souvent c’est à ce moment que je me dis que si j’avais bu une pinte supplémentaire, elle m’aurait empli du courage suffisant.
Les hommes sont lâches et je ne coupe pas à la règle. D’un côté ce n’est pas tant que les femmes soient courageuses, c’est surtout qu’elles nous tiennent par les couilles. Je n’ai pas su déterminer à quel moment exactement elles s’emparent de notre virilité ou à quel moment on la leur cède, j’espère le comprendre avant la tombe.
Je serre les poings dans mes poches parce que je passe devant deux buralistes distants d’une dizaine de mètres l’un de l’autre. Chacune de leur vitrine est surchargée de publicités pour les différents jeux de hasard auxquels on peut jouer à l’intérieur.
Mes mains me démangent, j’aimerais entrer dans l’un de leurs magasins mais si j’y vais je risque de dépenser tout le reste de l’argent que j’ai retiré. Je n’ai pas envie que ma femme me crie encore que je pisse ma paye sur les murs que je trouve entre le Pub et notre appartement.
D’abord je ne la pisse pas entièrement, je n’en pisse qu’un tiers. Pour elle s’est déjà trop pour moi c’est loin d’être assez.
Est-ce que je lui dis moi qu’elle peint sa paye sur sa gueule ?
Avec tous les cosmétiques et les parfums qu’elle achète y’aurait de quoi rincer tous les copains et pas qu’une fois !
C’est drôle comme on n’imagine pas que l’on fera sa vie avec sa cavalière au bal de la promo quand on l’allonge sur la banquette arrière de sa voiture à la fin de la soirée.
C’est à la nuit tombée que les souvenirs vous assaillent, qu’ils vous soulèvent et parfois vous mènent au bord des larmes.
C’est à la nuit tombée que l’on doit rentrer et manger ce qu’une inconnue vous a préparé, se forcer à rire aux mêmes plaisanteries qu’elle fait depuis le premier soir et écouter d’une oreille patiente ses histoires de boulot.
C’est à la nuit tombée que l’on partage sa couche et qu’on lui fait les mêmes caresses machinales, qu’on lui donne les mêmes baisers du bout des lèvres et que l’on remue au dessus d’elle à la même cadence déprimante.
C’est à la nuit tombée qu’on se rend compte que le temps file et qu’il a d’ailleurs filé sans nous prévenir.
C’est à la nuit tombée qu’on se surprend à pleurer comme un môme assis au bord d’un lit dans lequel on ne veut plus dormir sans pourtant avoir le courage de le quitter.
C’est à la nuit tombée que les fantômes du passé vous accablent et que les promesses de l’avenir se rient de vos doigts gourds et maladroits qui ne parviennent pas à les attraper.
D’un coup de balai j’aurais voulu chasser la nuit.
Merci à Guillaume Laborde pour l'illustration