Par deux arrêts portant condamnation de la Pologne, la Cour européenne des droits de l’homme a explicitement ajouté le droit au mariage à la liste des droits conventionnels qu’une personne peut continuer d’exercer malgré sa détention.
Deux détenus contestaient les refus opposés par les autorités polonaises à la célébration de leur mariage respectif en détention:
Le premier (Affaire Jaremowicz ci-après “J”) souhaitait se marier avec une femme rencontrée lorsque que celle-ci était aussi détenue dans la même prison. Le refus fut motivé par l‘”illégalité” de l’établissement de ladite relation et son caractère “superficiel”.
Le second (Affaire Frasik ci-après “F”) désirait convoler avec sa compagne même s’il fut arrêté et condamné notamment pour l’avoir violé et battu. Les “doutes” sur les buts de l’union (notamment le soupçon de ce qu’ainsi, la femme - qui a souhaité pardonner à l’intéressé et éviter les poursuites à son encontre - pourrait invoquer le droit de ne pas témoigner contre son mari) et le caractère “inapproprié” d’une prison pour une cérémonie de mariage lui furent opposés.
Après un rappel des principes jurisprudentiels forgés au sujet de l’article 12 (J § 48-50), la Cour énonce fermement que “la liberté personnelle n’est pas une pré-condition nécessaire à l’exercice du droit de se marier” (« Personal liberty is not a necessary pre-condition for the exercise of the right to marry » - J § 51). Cette position s’inscrit directement dans le prolongement du principe strasbourgeois désormais constant selon lequel “un détenu continue de jouir de tous les droits et libertés fondamentaux de l’homme qui ne sont pas contraires à la finalité de la privation de liberté, chaque limitation supplémentaire devant être justifiées par les autorités” (J § 51 - V. Cour EDH, G.C., 6 octobre 2005, Hirst (n° 2) c. Royaume-Uni, req. n° 74025/01, § 69). Ici, les contingences de la détention ne s’opposent pas par principe à l’exercice du droit au mariage, droit qui intègre donc la “liste non exhaustive de droits qu’un détenu peu continuer d’exercer” (J § 51). Toute ingérence dans le droit des détenus “d’établir une relation matrimoniale avec la personne de leur choix”, sauf à ce qu’elle soit fondée sur des considérations de sécurité ou de prévention des désordres en prison, est donc contraire à la Convention (J § 53). La Cour inaugure d’ailleurs cette solution inédite (v. cependant Commission EDH, Dec. 13 octobre 1977, Hamer c. Royaume-Uni, Req. n° 7114/75) en s’appuyant une nouvelle fois expressément sur les règles pénitentiaires européennes (Recommandation du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, 11 janvier 2006, Rec(2006)2 - J § 52 et 27).
Dans les affaires en cause, la Cour fustige très vertement l’attitude des autorités polonaises. Si le refus d’autoriser le mariage d’un détenu n’entraîne pas ipso facto violation de l’article 12 (J § 55), certains motifs justifiant ce choix sont à proscrire. Ainsi, est critiquée “l’opinion hautement subjective” émise par les autorités sur la nature, la qualité (J § 57) et la “profondeur des sentiments” du couple, nonobstant le caractère atypique de cette relation nées entre deux détenus (J § 58 et 59).
De même, malgré des rapports passés pour le moins tumultueux et les incidences judiciaires du mariage, un détenu “n’a pas à prouver et démontrer devant les autorités la profondeur et la qualité de ses sentiments” (F § 96). Par une position de principe qui peut avoir une résonance plus large que les seuls cas d’espèce, il est énoncé que “le choix d’un partenaire et la décision de se marier avec lui ou elle, en liberté comme en prison, est strictement une affaire privée et personnelle et il n’y a aucun modèle universel ou communément accepté pour ce type de choix ou décision” (J § 59 et F § 95). Le fait que les intéressés aient pu finalement obtenir une autorisation après plusieurs mois ou qu’ils puissent accéder à cette possibilité une fois libérés est jugé non pertinent (J § et S § 98).
Dès lors, si la Cour estime - en réponse à l’argumentation d’un tiers-intervenant (J § 43-47) - que les États n’ont pas l’obligation de poser des “règles spécifiques pour le mariage des détenus” (J § 63 et F § 99) et que la large marge d’appréciation des autorités polonaise en la matière n’est pas en soi critiquable, la manière dont ces dernières l’ont ici mise en pratique conduit à une violation de l’article 12 (J § 64 et F § 100).
Outre d’autres motifs de condamnation (notamment Art. 13 - violation du droit au recours faute de pouvoir contester efficacement les décisions litigieuses - J § 71 et F § 104), cette sanction pour violation du droit au mariage était prévisible, la Cour suprême polonaise l’ayant elle-même souligné de façon incidente dans une des affaires (F § 42).
En tout état de cause, après avoir rappelé récemment que la justice ne s’arrêtait pas aux portes des prisons (Cour EDH, G.C. 17 septembre 2009, Enea c. Italie, Req. n° 74912/01 - V. Lettre droits-libertés du même jour et CPDH du 20 septembre 2009), on peut remarquer - avec un peu de lyrisme - qu’elle en décide de même s’agissant des sentiments amoureux.
Jaremowicz c. Pologne et Frasik c. Pologne (Cour EDH, 2e Sect. 5 janvier 2010, respectivement Req. nos 24023/03 et 22933/02) - En anglais