Aimons-nous tranquillement, en pensant que nous pourrions,
Si nous le voulions, échanger baisers, étreintes et caresses,
Mais qu’il vaut mieux rester assis l’un près de l’autre
A écouter le cours du fleuve et à le voir.
Cueillons des fleurs, et toi prends-les puis garde-les
Entre tes bras, que le parfum rende ce moment doux -
Ce moment-ci où en toute quiétude nous ne croyons en rien,
Païens innocents de la décadence.
Au moins, si avant toi je suis une ombre, lors tu te souviendras de moi
Sans que mon souvenir te brûle ou te blesse ou t’émeuve,
Pour ce que nous n’avons jamais uni nos mains, ni joint nos lèvres,
N’ayant jamais été que des enfants.
Que si me devançant tu apportes l’obole au passeur ténébreux,
A nulle douleur ton souvenir ne me vouera. Douce,
Tu seras douce en ma mémoire, évoquée ainsi – au bord du fleuve,
Païenne triste et des fleurs sur le sein.
(Fernando Pessoa)