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“Tamazgha” : voix berbères au Maghreb

Publié le 10 janvier 2010 par Gonzo

TamazghaTamazgha est, selon Wikipedia, « un néologisme utilisé par les militants berbéristes pour désigner le monde berbère ». Plus que de lointaines références historiques, la langue, ou plutôt les langues berbères servent de référent identitaire, facilement décliné ensuite en spécificité culturelle, à un certain nombre de populations réparties dans tout le nord de l’Afrique. En Algérie, ils représenteraient un quart de la population, à peine plus (28 %) au Maroc, selon les estimations officielles, mais on se dispute naturellement beaucoup autour de ces chiffres. Ahmed Boukous, recteur du très officiel Institut royal de la culture amazighe (créé en octobre 2001) rappelle par exemple que 85 % des Marocains étaient berbérophones lors de l’accession à l’indépendance en 1956. Même en tenant compte de l’indéniable reflux des parlers berbères face à l’arabisation avec la généralisation de l’éducation, les différences d’appréciation sont à la taille des enjeux politiques.

En effet, à l’image de ce que connaît le Machreq avec les Kurdes, les différents Etats du Maghreb s’accommodent mal de ce Tamazgha qui met à mal leurs frontières politiques largement héritées de l’époque coloniale, tout en perturbant les représentations spatiales de l’imaginaire politique, à commencer par celle du « monde arabe du Golfe à l’Océan ».

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(cliquer sur la carte pour l’agrandir)

Venant s’ajouter aux quelques émissions (à des horaires impossibles) diffusées en berbère sur les chaînes nationales, le lancement au Maroc, le 6 janvier dernier, de « Tamazight », une chaîne totalement berbérophone, représente donc un événement important. Plus sur le plan politique que médiatique néanmoins. Certes, la chaîne, dont la création avait été décidée d’assez longue date, bénéficie de la bénédiction des autorités, et même d’un budget raisonnable (environ 5 millions d’euros : 20 journalistes, 70 techniciens). Mais, au moins dans sa phase expérimentale, elle ne sera accessible que par le câble ou la TNT, et elle ne restera qu’un nom pour la plupart des Marocains – et singulièrement pour une bonne partie des populations berbérophones, largement rurales (et pauvres).

D’ailleurs, même si les responsables ont pris soin de préciser que les programmes seront sous-titrés en arabe pour que la nouvelle chaîne n’apparaisse pas comme un ghetto culturel, on est loin de se réjouir unanimement dans le « monde berbère » marocain d’une initiative qui risque de conforter l’idée d’une « culture à part », qui n’appartient pas vraiment à la communauté nationale et qui risque d’être présentée sous ses aspects les plus folkloriques (article - en arabe – sur Islam Online).

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Pour nombre d’observateurs, le lancement de Tamazight relève donc de la communication politique. Ils en voient pour preuve le fait que sa création était devenue pratiquement inévitable dès lors que l’Algérie voisine avait mis en place son propre canal berbérophone il y a un peu moins d’un an. En effet, en mars 2009, « l’unique » (c’est son surnom) télévision nationale (le marché reste un monopole d’Etat) avait lancé en grande pompe (article dans Al-Watan) la “V”, une chaîne « tout Coran » et la “IV”, dédiée aux variétés locales du tamazight (kabyle, chaouie, targuie, chenoui et mozabite).

Pas plus qu’au Maroc, cette concession du pouvoir à la pluralité linguistique nationale n’était totalement gratuite. Mouloud Asawen, auteur d’un article aussi intéressant que partisan, rappelle ainsi que cette demande, portée par une bonne vingtaine d’années de revendications berbères, se trouvait exaucée fort heureusement en pleine campagne électorale. Et de quelle manière ! Pauvreté des moyens bien entendu, mais surtout folklorisation méprisante de l’indigène berbère dont la langue est transcrite en caractères arabes (en non latins : voir ce billet), tout cela révélant, aux yeux de l’auteur, une volonté de normalisation qu’illustre l’ouverture de la chaîne, chaque matin, avec l’hymne national et la lecture de versets coraniques (rien de bien particulier au regard des standards locaux pourtant).

Même sous cette forme, critiquable et critiquée comme on le voit, la langue berbère commence à être présente dans l’offre télévisuelle, en Algérie et au Maroc (dans ce dernier cas, la presse écrite et la radio lui donnent également une place de plus en plus grande : voir ce billet). C’est encore loin d’être le cas un peu plus à l’est, en Libye, où les médias traditionnels ignorent totalement une existence qui lui est également refusée sur internet (voir dans Arab Media & Society cet article).

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Paradoxalement, c’est pourtant de Libye que provient la voix qui porte le plus fort et le plus loin la voix de l’identité culturelle berbère. Cette voix, c’est celle du romancier Ibrahim Al Koni (ابراهيم الكوني‎), dont l’œuvre immense (dans tous les sens du terme : il a publié plus de 80 ouvrages) ne cesse de marteler la spécificité culturelle de son peuple. Mais l’homme qui est né dans le désert saharien et qui est incontestablement une des grandes voix de la littérature mondiale écrit… en arabe !


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