Retour sur un procès de lynchage : Saddam Hussein, le procès

Publié le 09 janvier 2010 par Robocup555

par Gilles Munier


Le président Saddam Hussein a été livré aux Américains début décembre 2003, près de Dour, par un ami chez qui il était caché. Selon l’avocat égyptien Mahmoud al-Mouni, il aurait été aussitôt transféré à l’étranger pour être interrogé, puis ramené sur le lieu de sa capture. Ce qui est certain, c’est qu’arrêté officiellement le 13 décembre, il est apparu épuisé sur les écrans de télévision, comme hébété par l'absorption de drogues. « Le voir humilié ainsi, sorti de son trou à rats», déclara alors Toby Dodge, de l’Institut international d’études stratégiques (IISS), est «une étape de plus dans la libération mentale des Irakiens », organisée cela va sans dire pour démoraliser la résistance irakienne.


Les « 20 interviews et 5 conversations ordinaires » du FBI, déclassifiés en juillet 2009, ne seraient que le remake soft des interrogatoires infructueux effectués avant qu’on le déclare prisonnier de guerre. Bien que réalisés avant son inculpation, et deux ans avant sa condamnation à mort, « Mr George », son intervieweur, y informait Saddam que « sa vie touchait à sa fin » !


« Tout cela est du théâtre », dit Saddam

La peine capitale, suspendue après l’invasion, avait été rétablie « provisoirement » le 8 août 2004, par le Premier ministre Iyad Allaoui, pour condamner à mort Saddam et ses compagnons, en dépit du principe de la non rétroactivité de la loi par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Paul Bremer, chef de l’Autorité Provisoire de la Coalition (CPA), créa, en décembre 2003, un Tribunal spécial irakien (TSI) sans se soucier de légalité ou de légitimité, entendu qu’il était une émanation Département d’Etat à la Justice des Etats-Unis, puissance occupante. La constitution du TSI n’a soulevé que des protestations de pure forme, même quand il est apparu que ses statuts n’avaient fait l’objet d’aucune consultation, que ses membres étaient formés en Grande-Bretagne pour jouer un rôle fixé d’avance, qu’aucun critère d’équité et d’impartialité n’était rempli, même pour la galerie. Dès la première séance, le 1 juillet 2004, il se présenta comme «Saddam Hussein al-Majid, président de l’Irak», refusa de reconnaître la légitimité du tribunal, rejeta les charges retenues contre lui, et déclara : « Tout cela est du théâtre, le véritable criminel : c’est Bush».


Pour Mouwafak al-Rubaie, directeur de la Sécurité nationale du régime de Bagdad, le procès de Saddam Hussein devait être celui du siècle, faire du nouvel Irak un exemple à suivre. Il n’en fut rien. Les juges sont apparus pour ce qu’ils étaient : des marionnettes aux mains d’opposants en mal de vengeance. Les avocats de la défense n’eurent jamais accès à la totalité du dossier : 36 tonnes de documents à charge collationnés par des agents du FBI ne parlant pas l’arabe, ni ne purent vérifier l’authenticité des pièces remises. Les menaces de mort se multiplièrent contre eux, dont celle de Malek Dohane al-Hassan, ministre de la Justice, de les « découper en morceaux » ! Trois furent assassinés : Saadoun al-Janabi en octobre 2005, Adil al-Zubeidi en novembre 2005 et Khamis al-Obeidi en juin 2006. La dépouille de ce dernier, retrouvée près de Sadr City, sous un poster de l’ayatollah Mohammad Sadek al-Sadr, père de Moqtada, présentait des traces de torture. L’avocat avait été promené dans le quartier, ligoté à l’arrière d’un pick-up. Abou Der’ra - le «Zarqaoui chiite» - avait célébré son assassinat en offrant un rafraîchissement général à la population des environs et invité les passants à tirer une balle sur son cadavre « pour se venger des baasistes ».


Les juges qui ne jouaient pas le jeu durent démissionner ou furent écartés. Rizgar Muhammad Amin se retira au bout de quatre mois car les « politiques » lui reprochaient de ne pas être assez sévère. Sayeed al-Hamashi fut écarté quand on découvrit qu’il avait appartenu au parti Baas, Rauf Rashid Abdul Rahman parce qu’il était natif de Halabja, et Abdullah al-Amiri pour manque de «neutralité». Il avait déclaré que Saddam Hussein n’était pas un dictateur ! Bushra Khalil, avocate libanaise, chiite, fut expulsée, non parce qu’elle avait établi un parallèle entre l’affaire de Doujail pour laquelle il était jugé et celle d’Abou Ghraib, mais en raison de sa confession. Elle était la seule chiite dans l’équipe de défense. Cela dérangeait les Américains, dit-elle, « car le dossier perdait son caractère confessionnel ».


Finalement, Nouri al-Maliki, nouveau Premier ministre, désigna un membre de la Brigade Badr, Mohammad al-Araiby, comme juge. Les pro-iraniens voulaient en finir vite, car le bruit courait que Donald Rumsfeld avait proposé à Saddam de le libérer en échange d’un appel demandant aux « insurgés » de déposer leurs armes. Le Président avait refusé. Les pro-iraniens ne voulaient courir aucun risque, d’autant qu’on sait aujourd’hui que la résistance avait envisagé de le libérer en attaquant sa prison, et qu’il s’en était fallu de peu pour que l’opération ait lieu.


Le verdict tomba le 5 novembre 2006. Comme prévu, le TSI condamna à mort Saddam Hussein, son demi-frère Barzan al-Tikriti et le juge Awad al-Bandar. Les 300 pages justifiant la décision ne furent remises à la défense que le 22 novembre pour qu’elle n’ait pas le temps de l’étudier sérieusement. De toute manière, Saddam avait interdit à ses avocats de réclamer sa grâce. Comme le dira un membre de l’Union des juristes irakiens: « Ce procès n’a été qu’une farce dégoûtante … ».


Rites barbares


La sentence fut confirmée le 26 décembre. Les autorités d’occupation avaient 30 jours pour fixer la date de l’exécution. C’était trop. George Bush voulait que Saddam soit exécuté avant le nouvel an chrétien et avant un discours qu’il devait prononcé sur sa nouvelle stratégie en Irak. La date de l’Aïd al-Adha sunnite fut suggérée par Nouri al-Maliki qui, mariant son fils ce jour-là, ne prévoyait pas d’assister à la pendaison, mais avait ordonné qu’on transporte le cercueil du Raïs à son domicile pour fêter l’exécution. Dans la nuit du 30 décembre, les Américains livrèrent Saddam Hussein à ses bourreaux. La Hawza de Nadjaf avait donné son aval au choix de la date, façon barbare de signifier aux Irakiens que le pouvoir religieux avait changé de mains, que le rite chiite prévalait désormais dans le pays.


L’exécution était conçue comme un spectacle multimédia. Une caméra filmait officiellement l’évènement, doublée par un ou plusieurs téléphones portables dont celui de Mouwafak al-Rubaie. Ils espéraient tous le voir s’effondrer à la dernière minute. Le Président est monté calmement à la potence sous les insultes des extrémistes de l’Armée du Mahdi invités pour l’occasion. Moqtada al-Sadr était présent, mais il a démenti avoir participé, masqué, à l’exécution comme l’affirma, photo à l’appui, un journal saoudien. Saddam a répondu sarcastiquement à un de ceux qui le conspuait : «Hiya hiy al marjale?» - «Est-ce çà, ta virilité?» -répartie qui remonte aux temps anciens de l’Arabie et de l’islam, intraduisible littéralement car associant virilité et courage, fierté et valeurs chevaleresques. A un autre qui lui a dit d’aller en enfer, il répliqua que l’enfer, c’était ce que l’Irak était devenu. La corde au cou, on ne lui laissa pas le temps de terminer la Shahada, la profession de foi des musulmans. La trappe s’ouvrit sous ses pieds. Des fanatiques se jetèrent ensuite sur sa dépouille pour tenter de l’égorger. Comme prévu, son cercueil fut exposé au domicile de Nouri al-Maliki pour égayer les personnalités invitées au mariage de son fils. Le convoi funèbre prit ensuite le chemin d’Al-Awja, près de Tikrit, où son tombeau est devenu un lieu de pèlerinage.


Pendu le jour de l’Aïd al-Adha, fête du sacrifice… et du pardon


L’Aïd al-Adha (ou Aïd el-Kebir) commémore le sacrifice d’Abraham. Pour les musulmans, c’est la fête du pardon, de la réconciliation, de la clémence et de la générosité
. Elle a lieu le dixième jour du mois de Dhul Hijja du calendrier lunaire islamique, 40 jours après l’Aïd el- Fitr qui correspond à la fin du Ramadhan. La différence de date de sa célébration chez les sunnites et les chiites irakiens n’est pas fonction de l’apparition de la lune qui clôt le jeûne du Ramadhan. Sous Saddam Hussein, la date était la même pour les deux communautés. Pour des motifs politico-religieux, les autorités religieuses chiites formant la Hawza de Nadjaf se sont mis depuis 2003 à l’heure de Téhéran. Pour se différencier des sunnites, les Iraniens n’aperçoivent la lune… qu’un jour plus tard, ce qui décale automatiquement la célébration de cette fête pour les chiites irakiens.


http://www.france-irak-actualite.com/article-saddam-hussein-le-proces-42529512.html/