Le Japon fait partie (avec les Etats-Unis, l'Inde et Taïwan) des démocraties qui continuent d'appliquer la peine de mort. Comme au Etats-Unis, il n'y a pas réellement de débat autour de son abolition. Rappelons toutefois que si Mitterrand et Badinter avaient demandé leur avis aux Français en 1981 sur l'abolition, ceux-ci l'auraient certainement refusée.
Une quinzaine de condamnés ont été pendus au Japon en 2008. Il semble malgré tout que les choses évoluent au Japon et l'élection historique de Yukio Hatoyama en août y est pour quelque chose. Le leader du Parti Démocratique du Japon (PDJ), qui a mis fin a la domination du PLD depuis l'après-guerre, a choisi de nommer au ministère de la justice Keiko Chiba, une avocate, membre de la ligue des parlementaires pour l'abolition. Dès sa nomination, elle s'est empressée d'amorcer le débat tout en éludant la question de sa suspension de fait (elle devra personnelement signer l'ordre d'exécution en tant que ministre de la justice).
Le Japon a connu une première abolition en.... 724 sous l’empereur Shômu, par conviction boudhiste. Mais la peine de mort avait été rétablie au XIIème siècle. A l'époque d'Edo (1600-1868), on insistait sur l'exemplarité de la peine et son caractère dissuasif. Les exécutions, parfois cruelles, se sont donc multipliées. Par la suite et jusqu'à aujourd'hui, les éxécutions se sont faites de manière plus discrètes jusqu'à taire même la date de l'exécution et informer la famille du condamné après l'exécution. Fin 2009, une centaine de prisonniers attendaient dans le couloir de la mort.
En attendant de suivre l'évolution de ce débat au Japon, je vous propose de découvrir trois mangas qui abordent à leur manière cette question.
"Dans notre pays, une loi entend assurer la prospérité de la nation en rappelant à tous la valeur de la vie. Pour ce faire, un jeune sur mille entre 18 et 24 ans est arbitrairement condamné à mort par une micro-capsule injectée lors de son entrée à l'école.
Lorsqu'on reçoit l'Ikigami, c'est qu'il ne nous reste plus que 24 heures à vivre. Mais à quoi passer cette dernière journée, lorsqu'on n'a pas eu le temps de faire sa vie ?"
Dans ce manga d'anticipation, un fonctionnaire chargé d'apporter le fameux Ikigami aux individus concernés (boulot pas facile...) commence à se poser beaucoup de questions sur l'utilité d'un tel procédé. Conçu comme un thriller, Ikigami nous fait réfléchir sur le rôle de l'Etat et sur l'étendue de la violence légitime qu'il peur exercer pour maintenir l'ordre social. La peine de mort n'est ici pas "méritée" mais assure, comme dans le Japon contemporain, un rôle d'exemple qui rappelle aux individus leurs devoirs, à commencer par celui d'être heureux...
Motorô Mase, Ikigami. Préavis de mort, Asuka, 2009 (4 volumes parus en français, 7 en japonais). Une adaptation en film est sortie au Japon. Courrier International consacrait un article à la série en 2007. Le site officiel de la série (avec des extraits).
Détenu 042
"Le gouvernement japonais lance une expérience qui pourrait bien signer
Dans ce manga, le regard posé par la société sur ceux qu'elle condamne est extrêmement dur. Il illustre parfaitement le sondage évoqué au début de cet article sur l'approbation de la peine de mort. Les seuls qui s'avèrent capables de comprendre ce condamné sont souvent ceux qui souffrent du regard des autres comme une jeune aveugle. Parmi les questions sous-jacentes : la réinsertion des prisonniers est-elle possible et souhaitable ? Ce manga a été écrit par Yua Kotegawa, une mangaka qui aborde souvent la mort dans ses oeuvres comme Ottori Sôsa, Anne Freaks et Arcana.
Yua Kotegawa, Détenu 042, Kana, 2006 (série en 5 épisodes)
Autre style et autre époque mais toujours cette réflexion sur la mort.
"1944. Les Américains contrôlent l'Océan Pacifique. Mais une toute nouvelle torpille-suicide pilotée et difficilement repérable peut encore changer la donne ! Le temps est venu de recruter et entraîner les soldats japonais prêts au sacrifice!! [...]
"Une arme dont on ne revient pas."
Voici la seule explication donnée à tous les jeunes soldats qui voulaient en savoir plus sur la nouvelle arme japonaise."
Peut être moins réussi que les deux mangas précédents, ce one-shot permet néanmoins de mesurer la contrainte exercée sur les jeunes soldats japonais à la fin de la guerre. Visiblement, ils n'ont pas tous choisi de mourir pour la patrie comme kamikaze. En essayant de comprendre les motivations des inventeurs de la machine, un jeune volontaire rencontre plus le désespoir que le patriotisme.
Syuho Sato, L'île des téméraires, Kana, 2009 (one-shot)
Un article paru sur un blog du Monde Diplomatique analyse les termes du débat sur la peine de mort au Japon. Je m'en suis servi pour cet article.
Original post blogged on b2evolution.