06 janvier 2010
Dark side of christmas
Je travaille depuis 10 ans et je n'ai pas d'enfant... Autant dire que depuis le siècle dernier je n'ai jamais eu un noël de libre... Or noël, comme les tsunamis, est la rencontre exacte de plusieurs lignes de forces souterraines et chaque fois, chaque année... C'est pire.
Alors je me résume :
- A noël je suis crevé... Les vacances d'été sont loins (enfin quand j'en ai eu bien sûr), cela fait plus de 4 mois que je vois les malades tous les jours, 4 mois que je souris, 4 mois que je suis gentil, 4 mois que j'écoute les mêmes plaintes des mêmes gens et j'en ai un peu marre... En plus il fait froid dehors, en plus il fait nuit le matin, en plus il fait nuit le soir et donc, comme tout le monde, j'ai surtout envie de faire le hérisson (ndlr :se rouler en boule, se mettre le nez dans le c... et se sucer la graisse tout l'hiver); j'ai surtout envie de mettre des grosses chaussettes et de regarder bodyguard en buvant un chocolat chaud ; j'ai surtout envie de rester sous ma couette et d'écouter du Whitney Houston (oui, moi quand je suis crevé à noël j'écoute du Whitney Houston, chacun son truc) bref j'ai surtout envie de tout sauf de me lever à 6 heures pour sortir dans la nuit voir des malades...
Oui mais non car noël dans un cabinet infirmier c'est aussi :
1 - Le moment où tout le monde se rend compte qu'il a une famille géniale qui l'abandonne comme un chien... Et qu'il va passer son réveillon seul comme une merde gelée oubliée sur une pelle... Du coup, bizarrement, chez mes "habitués" les dos se bloquent, les cœurs s'emballent, les estomacs se retournent, les intestins se nouent, le sol se fait plus proche et tout les ans, tous les ans, TOUS LES ANS !!!! il y en a un (ou une ) qui me fait un coup de calgon entre le 22 et le 26 décembre, qui va aux urgences, qui ne peut plus bouger et qui a subitement absolument besoin que je passe plusieurs fois par jour...
Cette année, évidemment, ça n'a pas loupé et madame Z (seule à noël alors que sa fille habite à 600 mètres étrange non?) s'est bloqué le dos version maxi plus...et devinez qui s'est tapé les plaintes + la toilette + la bouffe+ vider les seaux... le 24 au soir...
... allez je vous aide: ce n'est pas Nicolas Anelka.
2 - Le moment où les hôpitaux, sympas, font sortir leurs plus graves malades en permission "parce que bon c'est noël et que bon, hein, moi je serais vous je le fêterais cette année... Mais non pas de problèmes vous n'aurez qu'à prendre un infirmier libéral..."
Ce qui met, évidemment une ambiance de feu dans la tournée "de noël". Cette année bingo, une pauvre dame juste grand mère atteinte d'une leucémie foudroyante a qui il faut entretenir le cathéter pendant quelques jours... qui pleure pendant tout le soin, qui ne sait plus quel jour on est, qui ne sait plus, qui pleure et qui vous prend la main... (l'année dernière déjà j'avais fait fort avec une jeune femme de 35 ans atteinte d'un cancer du sein fulgurant qui regardait ses enfants en bas âge jouer autour du sapin pendant que je faisais le pansement...)
Note : Messieurs les hôpitaux au fait, comprendrez vous un jour, que même pour une "permission" nous avons besoin de prescription pour les soins et le matériel... Oui je sais ils ne sortent "que quelques jours" mais je ne fais pas les soins avec ma bite et mon couteau, même quelques jours... Merci par avance.
3 - Le moment où les familles reçoivent mémé pour quelques jours et vous laissent des messages la bouche en cœur : "oui, bon mmmm voilà, je reçois ma belle mère trois jours chez moi, pourriez-vous venir lui faire la toilette à partir de demain à ...euh disons 9 heures... voilà merci à demain".
Alors vous rappelez et vous en avez pour 20 minutes pour expliquer que non, du jour au lendemain vous n'avez pas (et vous n'aurez jamais) une place libre à 9 heures pour une toilette même "pendant quelques jours"... Pourquoi? Parce que j'en fais d'autre tiens et que je ne vais pas planter pendant 10 jours mes patients habituels juste parce que mooosieur a hérité de mémé cette année... Oui c'est inadmissible, intolérable, incroyable... oui, oui, oui...
(D'ailleurs je trouve ça fabuleux : tout le monde trouve merveilleux de dégoter un plombier qui se déplace chez vous en moins d'un mois à 100 € de l'heure... Mais absolument intolérable que les infirmiers libéraux (ces feignasses) ne soient pas libres comme des chiens des qu'on les siffle pour venir tout de suite et tous les jours soigner mémé à heure précise)
L'autre solution que vous proposez est alors une toilette soit le soir (vers 17 heures) soit entre 12h et 13 heures et là, une fois l'hallali passée, une fois qu'ils ont appelé tous vos collègues, une fois qu'ils ont cédé de mauvaise grâce... on vous reçoit carrément comme un chien de faïence quand vous sonnez...pendant 10 jours... Parce que au fond, vraiment vous ne faites vraiment aucun effort pour soigner des vieux ce qui est un peu incroyable vu votre métier... mais bon je dis rien... c'est l'époque ma bonne dame.. hein tout fout le camp...
Esprit de noël donc.
Et puis arrive le 24 au soir...
Et puis arrive le 24 au soir et l'imparable réveillon... Et même si vous débauchez à 21 heures et rembauchez à 7 heures (et que vous êtes totalement crevé et passablement sur les nerfs) vous devez évidemment faire quelque chose (parce que bon "c'est noël quand même!")... et là encore plusieurs options ont possibles...
1 - Le réveillon de groupe (famille, amis, etc...)
Après une douche vous arrivez en gros à 21h30 /22 h et déjà les yeux sont brillants, les huitres sévèrement entamées et vous avez d'emblée un temps de retard sur la soirée...Ensuite vous passez la soirée a regarder votre montre (putain il est 0h30, je me lève dans 5 heures) et a compter vos verres (tout mais pas travailler avec une gueule de bois, plutôt mourir)... Bref vous n'avez pas vraiment dans le mood de la fête, pas dans le mood des blagues, pas dans le mood des enfants qui hurlent... bref pas le mood tout court et vous sentez tôt ou tard les regards en coin qui se disent que "putain ce qu'il est triste celui ci" ou "vraiment il fait pas d'effort, il n'a qu'à le dire si on le fait chier"...
Bref, en général c'est une catastrophe et en plus vous récoltez une réputation de triste sire pour quelques années : Bingo!
2 - Le réveillon intime
En général ça part toujours d'un bon sentiment, d'un geste vraiment sincère : un ami à vous vous dit "allez tu ne vas pas passer le réveillon tout seul, viens chez nous on fait juste un petit truc en famille..."
Là par contre quand vous arrivez à 22heures on vous a attendu... et tout le monde à faim alors on passe très vite à l'apéro, très vite au repas, très vite aux blagues où vous forcez à sourire alors que vous pensez à votre cancéreuse, très vite on boit, très vite ils sont gris... (mais pas vous parce que plutôt mourir que...)... Et puis vient le moment tant attendu des cadeaux...
Et puis vient le moment tant attendu des cadeaux et là, tout à coup, le coté "intime" du réveillon se ressent vivement et vous vous sentez subitement, disons, euh... Disons qu'en plus de vous sentir fatigué, nerveux, la tête complètement ailleurs (à coté de la plaque en deux mots) vous découvrez en quelques seconde le sentiment joyeux et narcissiquement très satisfaisant d'être le pauvre à qui on a gardé une part; le petit réfugié cambodgien dans une famille américaine; l'enfant battu dans une famille d'accueil... Bref, vous vous sentez évidemment accueilli mais alors pas du tout à votre place et vlan! c'est l'énorme retour de boomerang pire que tout, le bingo total...
3-Le réveillon seul
Alors évidemment au bout de quelques années vous êtes rodés et vous évitez les pièges des réveillons de groupe et des réveillons intimes... Alors cette année "pas de blague je me fais un petit réveillon tout seul et vogue la galère"... Alors vous préparez votre petit plateau repas, vos petits plats... et vous mettez devant la télé...
Et là, en général c'est de nouveau le bingo total : tôt ou tard une image d'archive vous rappelle votre enfance (et les autres noëls auxquels tout le monde a droit ... sauf vous) ou alors l'image de la fête et des cotillons dans le poste vous fait réaliser subitement que vous seul comme une merde assis par terre dans un appartement vide; que vous faites ça à cause de votre putain de métier qui vous a demandé déjà tellement d'autres sacrifices... Alors vous relevez la tête et vous entendez le silence total dans l'immeuble...
Et c'est le gouffre.
Sinon l'autre option est de se dire : "surtout je ne fais rien et je me couche très vite" mais (ah ah!) votre inconscient n'est pas si bête et va bien vous rappeler que vous êtes au lit à 22 heures un soir de noël et , garanti sur facture, vous ne dormirez pas avant... minuit/une heure, juste le temps de bien faire le tour du gouffre vous aussi... Sauf qu'en plus vous êtes comme un con en pyjama dans un lit soit trop chaud, soit trop froid, soit les deux alternativement...bref: Bingo et rebingo.
...
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Sinon je vous ai déjà dit que j'adore noël ?
;)
Posté par xannadu à 07:27 - Ce métier et moi : Reflexions personnelles - Commentaires [10] - Rétroliens [0] - Permalien [#]
Tags : infirmier, solitude