Comme quoi rien ne remplace la contemplation des œuvres de visu ! En allant voir la rétrospective James Ensor au Musée d'Orsay, je m'attendais à une exposition macabre, morbide avec la présence fantomatique des masques et squelettes et bien pas du tout, c'est la provocation et la farce qui reprennent le dessus, c'est la lumière et la couleur qui l'emportent !
L'exposition ouvre sur la modernité d'Ensor. Formé à l'Académie des beaux-arts de Bruxelles, il a du mal avec l'académisme ambiant et, en 1880, il revient à Ostende, station balnéaire dont il est originaire et s'installe dans le grenier de la maison familiale d'où il peint. Paysages, natures mortes, portraits, scènes de genre, ses premières œuvres laissent difficilement présager de la tournure fantasmagorique que va prendre sa peinture.
Pourtant sa peinture n'est pas véritablement appréciée. En 1882, sa "Mangeuse d'huîtres" est refusée au Salon d'Anvers. Il est vrai que cette toile est bien monumentale (207 x 150,5 cm) pour traiter d'un tel sujet à l'époque. Allégorie du bien vivre, du bien manger, sa sœur (qui lui a servi de modèle) est représentée ici en ogresse rabelaisienne qui continue d'être absorbée par son repas alors que l'autre convive a quitté la table ... à moins que cela ne soit une invitation du peintre à nous montrer une superbe nature morte (le rendu des textures tissus, porcelaine, verre, buffet et pied de la table en bois) et une harmonie extraordinaire des couleurs (le rendu de la nappe blanche, le fameux citron jaune des peintres flamands, l'orange des boissons, la corbeille de fruits, la tranche rouge du livre sur le buffet ...).
Comparé aux impressionnistes, il réfute avec vigueur l'analogie : "on m'a rangé à tort parmi les impressionnistes, faiseurs de plein air, attaché aux tons clairs. La forme de la lumière, les déformations qu'elle fait subir à la ligne n'ont pas été comprise avant moi". Pour lui, toute idée d'instantanéité est exclue, et cela se traduit jusque dans le matiérage de ses peintures qui sont dans ses débuts empâtées (empâtement qui est posé au couteau et au besoin retravaillé, gratté comme dans les "Toits d'Ostende").
Autre particularité de ce peintre, alors que ses contemporains pour la plupart peignent des scènes d'extérieur, de genre ou de transformation de la ville, il peint, rattrapé par le symbolisme, des scènes bibliques ou religieuses ce qui est quelque peu singulier ; ci-dessus, Adam et Ève chassés du paradis terrestre, en 1887. A noter dans cette toile, une fois de plus, l'extrême vivacité des couleurs du ciel et l'importance accordée à celui-ci (presque les trois quarts de la toile) avec Adam et Ève, à droite, que l'on distingue à peine de la terre.
A suivre ...
(1) Présentation interactive de la même exposition au MoMA(2) Billet "Art Ensor" sur le blog de Grillon où vous découvrirez ses superbes natures mortes
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 10 janvier à 22:19
Merci !
posté le 10 janvier à 11:54
Chers myriam et philippe, j'apprécie vos réflexions (comparatives souvent) de certaines oeuvres. Je vous suis avec intérêt dans vos visites de musées et expos, d'autant que j'ai moi aussi un blog en Bourgogne où je ne parle que d'art...Dont une rubrique "retour d'expo". Sans doute moins experte que vous...mais passionnée. A +