Amis de la poésie - épisode 2

Finalement, les moules vapeur s’avèrent de simples moules nature, sans même un peu de persil. Je cache ma déception en pensant qu’au moins, pour une fois ça ne me tombera pas sur les bourrelets (le temps où je grossissais par les seins étant hélas révolu, les calories superflues, ces scélérates, ont en effet entrepris de me dessiner une silhouette de Vénus hottentote, pauvre de moi !). Nature ou pas, ces gigantesques mollusques sont délicieux, c’est toujours ça de pris.

La soirée poésie a lieu une fois par mois au Mussel Inn. On pourrait la comparer à un concert pour poètes locaux, puisque les autres soirs sont réservés aux groupes musicaux du coin en tous genres. Une tribune est installée dans la petite salle de restaurant, avec pupitre et micro. Les artistes qui veulent lire leurs œuvres doivent se faire connaître en début de soirée du maître de cérémonie, celui-là même qui les appellera un par un tout à l’heure. Un thème est fixé pour donner une couleur à la soirée et stimuler l’inspiration des auteurs, mais nul n’est tenu de le respecter. Évidemment, ce soir, le fil conducteur est « Noël ».

Lorsque l’heure de commencer a sonné, le maître de cérémonie, en bermuda et tongs, se plante derrière le micro et présente la soirée et son thème, puis lit modestement une ou deux de ses dernières créations. Ensuite, pendant une heure et demie vont défiler l’un après l’autre tous les volontaires, dans une envolée lyrique allant de la poésie un peu scolaire à la chansonnette Seventies (accompagnée à la guitare), du poème nostalgique au quatrain humoristique, tous les styles, tous les tons. Quelques-uns lisent un peu vite, gênés, intimidés d’exposer ainsi les mots qu’ils ont alignés dans leur intimité et qui se révèlent impudiques ici au milieu de ce public attentif ; d’autres s’installent, accaparent le pupitre et racontent des histoires interminables avant de sortir leur poème de leur poche.

Pendant ce temps, le public reste coi, respectueux, intéressé. Personne ne se lève, personne ne parle, on applaudit généreusement à la fin de chaque prestation. Certains hochent la tête, comme pour mieux s’imprégner de la profondeur des textes, d’autres sourient, aux anges. Les poètes sont tous âgés de plus de 50 ans, voire beaucoup plus pour certains, et à part un beau-parleur en costume, leur tenue est au diapason de celle de la clientèle du bar : shorts ou bermudas, tee-shirts décolorés et trop grands, cheveux ébouriffés. Certains sont pieds nus, ceux qui ont conservé l’allure hippie de leur jeunesse depuis longtemps fanée, comme leur regard. Au cœur de cette soirée sans prétention, on sent tout de même la fierté de quelques-uns, fierté d’être là, d'exister en tant qu'auteur pendant quelques minutes, fierté d’être écouté, applaudi, d’avoir osé s’exprimer.

À suivre…