Quel urticaire soudain a donc poussé l’ancien leader à sortir de sa réserve pour un livre qui certes revisite son parcours politique mais qui ne peut pas se classer dans la catégorie Mémoires ? Le choix n’est pas neutre. Il témoigne des fourmis dans les pattes d’un homme en pleine forme, épanoui, qui se refuse à jouer les vieux sages même si, comme il le confie, il “a la chance de pouvoir vivre heureux hors de toute fonction politique“. Le pire pour un ancien dirigeant demeure l’effacement dans les mémoires. Lionel Jospin ne peut s’y résoudre.
On l’aime bien notre Jojo, comme on apprécie de revoir, bien des années plus tard, ces enseignants qui nous ont marqué par leur rigueur et leur qualité mais aussi,… un certain ennui. Jospin l’austère qui se marre n’est pas du genre à faire rêver dans une période qui en aurait bien besoin et, n’inspire de la nostalgie qu’à ceux qui se sont inscrits dans son sillage.
L’intérêt toutefois de la résurgence jospinienne c’est avant tout de souligner, par le contraste des styles, qu’il est possible de faire de la politique autrement qu’actuellement. Avec hauteur, probité, sens de l’intérêt général et, absence de coups bas.
Dans les colonnes du quotidien Le Monde du 8 janvier l’ancien Premier ministre socialiste fustige, la “désinvolture” de Nicolas Sarkozy et sa mauvaise gouvernance, comme l’illustre, selon lui, la censure de la taxe carbone par le Conseil constitutionnel. “L’obsession de l’effet d’annonce et la prise de décision sans débat, dans un cercle restreint tout en haut à l’Elysée, font négliger l’expertise et le sérieux dans la préparation des textes” accuse l’ex-chef du gouvernement.
Point faible de la démonstration, confirmé par la brutale disparition de Philippe Seguin, c’est que ce type de comportement, malgré son panache, augure plus des défaites que de lendemains victorieux.
Et nous voilà revenus à la séquence de la main de Thierry Henry. Faut-il gagner à tout prix ou, est-on prêt à prendre le risque perdre afin de ne pas renier ses valeurs ? La sortie du bois, ou plutôt de l’ile de Ré, de l’ancien leader socialiste peut s’analyser comme une réaction d’orgueil face à ce qu’il ne peut accepter : l’entrée dans le Panthéon du coeur des Français de Jacques Chirac. Jacques Chirac, roi fainéant selon Nicolas Sarkozy, adepte du côté crasseux de la politique pour Lionel Jospin.
Il est des losers magnifiques . Notre pays a tendance, à l’inverse des Etats-Unis, à leur élever des statues. La grande erreur de Lionel Jospin aura été de penser qu’on peut gagner les actions sur un bilan et une rectitude morale. La faute de Lionel Jospin n’est pas tant là que, dans son incapacité à pratiquer l’autocritique, que dans son refus de toute introspection ou thérapie de groupe au lendemain de la défaite du 21 avril. Une erreur dont le PS continue aujourd’hui à payer le prix.
Les principaux reproches susceptibles d’être adressés à l’ancien chef de gouvernement sont de trois ordres. Un autisme suicidaire de gestionnaire coupé au fil du temps de la réalité de terrain . Une inversion du calendrier électoral qui a ouvert la voie à l’hyperprésidence Sarkozy. Un retrait de la vie politique annoncé un soir de défaite , ressenti plus comme un geste d’orgueil, qu’un sens inédit en France de la responsabilité politique.
Lionel Jospin n’apprend rien de nouveau lorsqu’il rappelle les trois éléments qui font la victoire à savoir : un leader, un programme et l’union. Le retraité forcé n’est porteur d’aucune recette miracle, seulement d’un vœu : “J’aimerais que ce livre puisse être utile à tous ceux, à gauche, qui veulent retrouver le chemin du pouvoir” et, d’une frêle esquisse de solution. Plutôt une direction dans laquelle il faut chercher : s’interroger sur les fondements du socialisme réformiste notamment, la priorité de l’économie sur la finance, une plus juste répartition des revenus et une régulation de l’économie mondiale. Martine Aubry et le PS auraient sans doute préféré des étrennes plus conséquentes.
L’appréciation la plus pertinente sur ce retour vers le passé est portée parGuillaume Bachelay. Le jeune dirigeant socialiste (cornaqué par Laurent Fabius) préfère pour sa génération “le devoir d’inventer au droit d’inventaire” sur les années Jospin : “La tentation est grande de procéder à l’explication du 21 avril pour les enfants, c’est-à-dire d’employer la thèse de l’accident électoral. Mais l’origine du 21 avril, c’est bien la cassure entre d’une part les couches populaires et une partie des classes moyennes précarisées, et de l’autre la gauche de gouvernement.“