C'est le début de l'année, et c'est le moment où viennent les chroniques de dernière minute pour célébrer les disques que nous avons laissés passer l'année précédente. C'est le début de l'année, et c'est la fin d'une décennie, unité de temps chère à la critique musicale. Il y a le son des années soixante, et celui des années soixante-dix, les son des années quatre-vingt, et celui des années quatre-vingt-dix. La fin de l'année 2009, c'est la fin d'une décennie, et pour les deux un même constat : Animal Collective aura été omniprésent. 2009 a commencé avec le génial Merriweather Post Pavillion, elle s'est achevée avec Fall Be Kind, nouvel EP du trio. Entre-temps, on a entendu Noah Lennox chez Taken By Trees, et ici-même sur ce Logos, d'Atlas Sound. De même, Spirit they're gone, spirit they've vanished avait inauguré les années 2000 avec un nouveau folk, entre autres psychédélique, tortueux, et électronique. Et alors qu'Animal Collective sont partis vers d'autres cimes, laissant derrière eux quasiment tout ce que leur musique avait de folk, ce sont, puisque Grizzly Bear aussi l'ont laissé à d'autres, des gens comme Sin Fang Bous et Atlas Sound qui, après d'autres, ont cette année repris le flambeau, avec forte personnalité, et perpétué le son, en le modulant avec un génie propre, de Feels ou Sung Tongs.
Car ne parler que d'Animal Collective serait ignorer tout le génie et la personnalité de Bradford Cox, homme seul derrière Atlas Sound. Bradford Cox est l'auteur, avec son groupe Deerhunter, du grand dyptique shoegaze Microcastle / Weird Era Cont, sorti en 2008, adoré aux Etats-Unis, et étrangement passé assez inaperçu en France. Et alors qu'il s'agissait avec Deerhunter de jouer avec les ruptures, il s'agit chez Atlas Sound de jouer avec la répétition. En résulte onze objets musicaux insaisissables, onze plages aqueuses aux contours évaporés, construits sur des boucles qui mènent à une sorte de transe étrange, moins provoquée par des rythmiques massives comme chez Animal Collective que par d'intelligents motifs mélodiques circulaires.
En effet, on tourne en rond dans Logos, et c'est ce qui justement le rend si fascinant. Car loin de faire du surplace, grâce au génie de Bradford Cox, les chansons de Logos vont toujours de l'avant. En témoignent les neuf minutes quasi-kraut de "Quick Canal", chanté par Laetitia Sadier, chanteuse de Stereolab. Les chansons de Logos se déplacent en dessinant des boucles (cf l'étrange valse de "My Halo"), si bien que, parti de A, on ne rejoint jamais Z, ni même B ; on reste coincé quelque part sous X, obsédé, fasciné (à titre d'exemple, les cordes magnifiques dans lesquelles tombe "Attic Light"). La tête tourne, mais l'on suit, obsédé, fasciné. Ce qui n'est pas sans causer des vertiges. Mais ici le vertige n'est pas provoqué par une perception déformée de l'extérieur mais plutôt par le repli sur soi, et l'opacité de ce que l'on y perçoit. Les courbes de Logos sont concaves, ses chansons sont tournées vers l'intime. Le son est confiné, étouffé, et moite. Logos n'est pas sombre, non. Il est opaque. Trouble.
Le motif de l'onde, les sons liquides, l'opacité : oui, nous nageons en eaux troubles. Cette humidité suinte dès les premières secondes de "The Light That Failed". Les réverbérations des voix et les superpositions des couches de guitares et de sons électroniques se chargent de troubler le tout, et ce jusqu'à "Washington School", alors que, toujours, les sons coulent, gouttent, et ruissellent. Les rythmes et mélodies pop de "Walkabout" (chanté par Noah Lennox), "Shelia" et "Logos", le titre final, apportent un peu d'air et de clarté à l'ensemble. Mais attention, même la clarté est à double tranchant : "Shelia", beau à pleurer, parle, sans détour aucun, de la conscience de sa propre mort. Mais Logos n'est pas poignant, non. Il est troublant. Obsédant.
En bref : électro folk et mélodies pop en mode repeat pour une fascinante transe intime vécue comme une plongée en eaux troubles.
-"Shelia":