Vous souvenez-vous, amis lecteurs, qu'en décembre, le dernier samedi précédant immédiatement les vacances scolaires de fin d'année, je vous avais présenté
Mala Strana, véritable perle architecturale à l'ouest
de la Vltava, essentiellement sous son aspect historique en
vous proposant un très rapide résumé de son évolution à travers le temps ?
J'aimerais avec vous, aujourd'hui, pénétrer plus intimement dans ses rues, et plus spécifiquement l'une d'entre elles, la plus connue des touristes parce que la plus
typée, celle qui offre l'opportunité de mieux appréhender tout ce qu'a de baroque ce "Petit Côté" par rapport à la Vieille Ville proprement dite, celle qui nous permettra, samedi prochain,
d'accéder au sommet de l'éperon rocheux de
Hradcany et de découvrir son château
séculaire : la très étroite, très escarpée et très fréquentée
Nerudova ulice, la rue Nerudova ou plutôt, si je veux l'écrire en français, la rue Neruda.
A Vysehrad, à l'extrême sud de Prague, nous avons un
jour visité le cimetière national. Vous vous rappelez, je présume, que je vous y avais fait découvrir les tombes de Dvorak et de Smetana. Plus simple encore que cette dernière, celle d'un certain Jan Neruda que j'avais
délibérément occultée à l'époque, préférant la réserver pour la présente visite.
Au passage, j'attire une nouvelle fois votre attention sur cette particularité qui consiste à indiquer, un peu comme une fraction, le jour et le mois, intercalés au
milieu des dates de la naissance et du décès.
- Qui fut ce Neruda ?
- Un très grand écrivain. Un très grand conteur ...
- Effectivement, oui. Vous avez raison : j'en ai déjà entendu parler.
Et il s'agit d'un poète, LE poète chilien par excellence !
Mais pour quelles raisons est-il enterré à Prague ?
Et pourquoi une rue - et non la moindre, ici, à Mala
Strana -, lui rend-elle un aussi vibrant hommage en
portant son nom ?
Mais ... en y réfléchissant bien, il s'appelait Pablo, non ? Pablo Neruda ; et pas Jan !
J'ai la nette impression de m'embrouiller, là ...
A moins que ... comme Kafka, l'autre jour en ce même cimetière de Vysehrad
...
N'y aurait-il pas deux Neruda par hasard ? Deux écrivains qui auraient le même patronyme ?
- Tout à fait exact. Ou presque ...
En réalité, l'un, le Chilien, s'appelait originellement Neftali Ricardo Reyes Basoalto ; ce que quasiment tout le monde a oublié. Et, apparemment, il fut tellement
impressionné par l'oeuvre et notamment les Contes de Mala Strana de l'autre, le Tchèque, celui qui vécut dans la seconde
moitié du XIXème siècle - et non, comme on le lit pratiquement partout sur le Net, du XXème !!! -, qu'il décida très tôt dans sa carrière d'écrivain de choisir ce nom de
Neruda en guise de pseudonyme. Comme une immense et perpétuelle reconnaissance de son talent ...
Quant à Jan Neruda, ce grand auteur tchèque nettement moins connu en francophonie, il faut bien l'admettre, c'est parce qu'il est né et a passé une partie de son enfance
dans cette maison n° 47, dite "Aux deux soleils"
et dont une plaque en commémore dorénavant le souvenir
que la rue, jadis "des Luthiers", s'appelle désormais rue Neruda.
Indépendamment de cette référence précise à une célébrité, bien d'autres bâtisses bourgeoises s'égrènent tout au long de cette rue qui, grimpant jusqu'au château, prend
naissance sur la place de Mala Strana que dominent le dôme et la tour
de l'église baroque Saint-Nicolas, réalisée à la demande des Jésuites, par différents maîtres d'oeuvres de la famille Lurago, des Italiens très prolixes et très prisés en
Bohême.
Avec leur enseigne colorée,
la plupart des maisons de la rue Neruda, les unes parfois
beaucoup plus étroites que d'autres, revêtent incontestablement un cachet tout à fait particulier qui ne peut que retenir notre attention : que ce soit, parmi tant d'autres, celle du n° 6, dite
"A l'aigle rouge" ou du n° 12, "Aux trois petits violons"
ou du n° 14, ou encore du n° 43, "Au homard vert" ...
Comme j'ai déjà eu l'opportunité de le mentionner précédemment, d'autres demeures, en fait des anciens palais, abritent de nos jours des
ambassades. Ainsi, nouvel exemple ci-dessous, le palais Thun-Hohenstein, datant de 1725 et devenu celle d'Italie.
De l'esplanade du château quand, à l'avant plan, votre regard embrasse les toits rouges de Mala Strana,
où rues et places se croisent et s'entrecroisent à flanc de colline, pouvez-vous imaginer un seul instant, amis lecteurs, que cette architecture qui paraît aujourd'hui si homogène, si paisible représente en réalité le
dernier avatar - car pratiquement plus rien n'a été construit depuis la fin du XVIIIème siècle ! -, de bien de vicissitudes, de bien de drames humains ?
Que de sang versé, que de larmes répandues pendant ces conflits politico-religieux de jadis pour, aujourd'hui, grandement ravir les amateurs de monuments historiques, les
touristes curieux du passé que nous sommes ...
Qui, parmi tous ceux qui ont donné tout ou partie de leur vie pour que Prague devienne le joyau architectural unanimement apprécié, au point d'être inscrite, depuis 1992,
au Patrimoine culturel et naturel mondial de l'Unesco, eût alors escompté semblable engouement pour sa ville, semblable reconnaissance universelle ?