Dans les mois qui viennent vous entendrez parler de dépistage du cancer: du colon, du sein… On n’arrête pas le progrès et on serait tenté de voir d’un bon oeil toute mesure qui pourrait éviter des souffrances inutiles… mais qu’en est-il réellement ?
Que savons-nous des risques associés au dépistage du cancer du sein ?
Je me rappelle ma surprise en 1998 lorsque j’ai vu la chirurgienne la première fois. Honnêtement je n’aurais jamais cru que la médecine moderne se montrait toujours incapable en 2010, d’évaluer avec précision la présence ou non d’un cancer… Je me permets une petite parenthèse concernant mon premier contact avec cette douloureuse réalité.
J’avais obtenu un premier rendez-vous à la clinique du sein par l’intermédiaire de mon médecin de famille. Je me présente là toute seule, car croyez-le ou non, malgré les mauvais résultats de ma récente mammographie, j’avais confiance. Je me disais que le cancer du sein… ça se soigne bien.
La docteure ne niaise pas avec le «puck», pas de temps à perdre. Elle me fait une biopsie dans son cabinet, me dit qu’elle n’a pas besoin d’attendre les résultats, elle SAIT que c’est bien un cancer. Voyant que cela ne semble pas trop m’impressionner, elle ajoute que j’ai 75% des chances d’être vivante dans 5 ans. Là je commence à m’inquiéter un peu.
Bin voyons… vous allez me l’enlever ce sein ? je n’aurai plus de cancer non ? je connais des femmes qui ont été opérées pour le cancer il y a 20 ans et qui sont toujours vivantes et en pleine forme.
Et la docteure de répondre:
Vous savez madame, il y a vingt ans, beaucoup de femmes ont été diagnostiquées et opérées sans pour autant qu’elles aient vraiment eu le cancer du sein. Celles que vous connaissez qui sont toujours vivantes après 20 ans n’ont jamais eu le cancer.
Pardon ? Ouais. C’est ça. Maintenant signez ici (pour la chirurgie). Le consentement éclairé ? bof… pourquoi faire ? Faites comme au garage… faites confiance !
Anyway, j’en ai déjà parlé et ce n’est pas le sujet de ce billet, revenons à nos moutons.
Voyez plutôt cet article de Brigitte Breton publié dans Le Soleil d’aujourd’hui. (c’est moi qui souligne et met en forme)
Un dépistage ciblé
La mort prématurée de Lhasa de Sela vient cette semaine donner plus de poids à une récente recommandation de l’American College of Radiology qui préconise que les femmes passent une mammographie dès l’âge de 40 ans plutôt que 50.
Cette recommandation, venant en contradiction avec celle formulée l’automne dernier au ministère de la Santé par l’Agence d’évaluation des technologies et des modes d’intervention en santé (AETMIS), provoque un questionnement sur le programme adopté en 1998 au Québec. Le ministère de la Santé fait-il preuve de négligence et lésine-t-il sur la prévention en ne soumettant pas systématiquement toutes les femmes de 40 à 49 ans à une mammographie?
Évitons de tirer cette conclusion. Après évaluation, l’AETMIS a conseillé au ministre de la Santé de ne pas étendre systématiquement le dépistage à toutes les femmes de 40 à 49 ans, car elle y voyait plus d’inconvénients que d’avantages.
Exposons les chiffres de l’agence. En nombre absolu, le dépistage du cancer du sein chez 1000 femmes de 40 à 49 ans, pendant 10 ans, permet d’éviter 0,9 décès.
Par contre, il entraîne…
- 0,5 décès à cause de la radiation
- 4 cas de cancers surdiagnostiqués et traités inutilement
- 800 examens d’imagerie de plus
- 60 biopsies de plus
Le Soleil - Un dépistage ciblé – 8 janvier 2009
Complément d’information
Qu’est-ce que la mammographie ?
La mammographie de dépistage est un examen radiologique qui consiste à prendre deux radiographies de chaque sein, une horizontale et une oblique (de côté), pour un total de quatre. Cet examen est réalisé par une technologue en radiologie et dure quelques secondes. Pour obtenir une image de qualité et réduire la quantité de radiations émises, il faut effectuer une compression du sein entre deux plaques pendant 10 à 15 secondes, ce qui peut causer un certain inconfort, parfois même une douleur chez certaines. Cependant, il n’y a aucun risque de traumatisme, de blessure, ou de rupture d’une prothèse mammaire.
Programme québécois de dépistage du cancer du sein
Tirés du site web d’Action Cancer du Sein Montréal, voici quelques extraits de leur FAQ
Quelle est la politique d’ACSM concernant la mammographie ?
Le diagnostic par mammographie implique l’exposition à de faibles doses de radiation dont les effets sont cumulatifs. Puisqu’il est connu que la radiation est cancérigène, ACSM recommande de restreindre le plus possible le recours à la mammographie, et promeut plutôt le développement de méthodes plus efficaces et à moindre risque en matière de détection du cancer du sein. Présentement la Société canadienne du cancer recommande la mammographie aux deux ans pour les femmes âgées entre 50 et 69 ans. (En Colombie-Britannique on la recommande à partir de 40 ans.)
On a longtemps cru que la détection « précoce» du cancer (par la mammographie ou l’examen clinique des seins) diminuerait le risque qu’il soit fatal. On sait maintenant que certains cancers sont plus agressifs que d’autres, et que le moment du diagnostic ou la grosseur de la tumeur peuvent n’avoir que peu de rapport avec le pronostic à long terme. Toutefois l’examen clinique rigoureux des seins (fait par un professionnel de la santé certifié, et qui peut durer jusqu’à dix minutes) a été démontré comme étant aussi efficace que la mammographie. Pour toutes ces raisons ACSM est d’avis que les femmes devraient prendre les décisions qui leur conviennent le mieux en regard du recours régulier à la mammographie. Les choix sont difficiles. Les femmes qui optent pour des mammographies sur une base régulière devraient avoir accès à des équipements à jour, des techniciennes empathiques et des résultats livrés rapidement.
Qu’est-ce que « l’industrie du cancer» ?
Le cancer est tellement présent aujourd’hui qu’il s’est créé toute une industrie autour, comprenant non seulement le personnel du secteur de la santé et les cliniques spécialisées en cancer, mais aussi les manufacturiers des équipements, des appareils et des tests de détection et de traitement, les entreprises pharmaceutiques qui fabriquent les médicaments oncologiques, les organisations de publicité et de relations publiques, les instituts de recherche en cancer, les agences subventionnaires de recherches sur le cancer, etc.
Cette « industrie du cancer » emploie des milliers de personnes et introduit dans l’économie des sommes importantes d’argent, avec comme résultat de détourner l’attention du besoin qui existe toujours de trouver les causes du cancer. ACSM vous suggère d’être particulièrement vigilantes, vigilants à l’égard des compagnies pharmaceutiques qui font des profits en vendant des médicaments pour traiter le cancer tout en fabriquant par ailleurs des produits chimiques cancérigènes, à l’égard des manufacturiers d’automobiles qui supportent à grands renforts de publicité la recherche sur le cancer cependant que les véhicules qu’ils produisent déversent des émissions cancérigènes dans l’environnement, à l’égard aussi des agences oeuvrant sur le cancer mais qui ignorent ou banalisent les contaminants environnementaux qui nous entourent quotidiennement et qui contiennent des produits cancérigènes potentiels.
Un médecin généraliste commentait déjà en 2006, un article de la revue Prescrire qui concluait en une balance bénéfices-risques peu favorable au dépistage par mammographies systématiques.
J’ai relu hier l’article de la revue Prescrire n° 272 sur le sujet. Les conclusions n’en sont guère en faveur du dépistage par mammographies systématiques.
Le bénéfice en terme de mortalité totale (= espérance de vie) n’est pas démontré. Les études sur le sujet sont d’un faible niveau de preuve. Environ 60% des anomalies détectées sont des « faux positifs » (= pas de cancer en fait), ce qui engendre anxiété et examens inutiles en réalité.
Au total, la revue conclue en considérant qu’avant 50 ans la balance bénéfice-risque est défavorable; qu’après 70 ans, on n’a pas de preuve d’efficacité; et qu’entre 50 et 70 ans, les bénéfices sont hypothétiques.
Sachant que le dépistage systématisé pour toute la population visée coûterait 150 millions d’euros par an, on peut se demander si ces sommes ne seraient pas plus utiles ailleurs.
En tout état de cause, il nous faudrait des études fiables, menées au niveau européen vu le recrutement nécessaire (1 million de femmes pour une étude correcte), pour pouvoir conclure de façon certaine.
Le blog d'un toubib médecin généraliste - Utilité des mammographies en dépistage - déc 2006
Scanner et cancer du poumon
Contrairement à ce qui a été mis en avant pendant longtemps, il semble bien que le scanner pulmonaire régulier chez les patients à risque de cancer à ce niveau, asymptomatiques, ne réduit pas le nombre de décès.
Lors donc, si on accepte l’idée que le but de la médecine, c’est de faire vivre plus vieux et/ou en meilleure santé, cela ne sert à rien.
Ce constat repose sur une étude longitudinale publiée dans le Jama. 3246 patients suivi en moyenne 3,9 ans.
La conclusion en est que l’on a diagnostiqué avec le dépistage 3,2 fois plus de cancers, on les a opérés 10 fois plus, pour un bénéfice nul en terme de survie.
Bien sûr, beaucoup contestent cette étude. Il y a beaucoup de monde en médecine qui préfère brasser l’air et s’agiter, que de se poser la question de l’efficacité de ces mouvements.
Faire est-il plus efficace que ne rien faire dans ce cas précis ? Voilà une question qu’il est bien souvent, très souvent, trop souvent mal vu de poser en médecine.
Comme si la poser remettait le dogme en cause. Comme s’il s’agissait non de science, mais de foi. Comme si celui qui doute était un hérétique.
Mais un médecin peut-il être fait de certitudes ?
Le blog d'un toubib médecin généraliste - Scanner et cancer pulmonaire