A moins que ce soit mon grand-père. Il neigeait en tout cas. On m’avait prêté un appareil photo, je peux retrouver la date sur un vieux ordi qui traine chez mes parents. J’avais froid comme tout le monde, j’étais fatigué, un bonnet péruvien sur la tête, oui merde j’étais un lycéen. Je me souviens maintenant, ma grand-mère c’était le 26 novembre 2003, il suffit d’aller voir sur imdb pour m’en rappeler. La sortie de Kill Bill vol. 1 en France. On est allé le voir le soir après l’enterrement avec mes cousins. Mes cousins, je ne les avais jamais vu jusque là. Je les avais croisé bébé, peut-être, j’avais vu les photos par contre, j’avais remarqué l’évolution sur le buffet chaque fois qu’on se tapait un dimanche chez les grand-parents, mais je ne les avais jamais vu physiquement.
J’ai rencontré pas mal de gens, des stars, des écrivains, une actrice X de loin dans un Virgin Megastore, Jean-Paul II m’a caressé la tête, avant que je ne rencontre mes propres cousins. On ne choisit pas l’histoire de sa famille, on ne la connait jamais bien non plus et on a toujours quelques larmes quand on la raconte. La famille comme un putain de bouquin qui ne veut pas pourrir, qui appartient à personne mais qu’on n’hésite pas à souiller. Pourtant c’est le seul bouquin où je ne me sens pas voyeur. Je ne comprends pas qu’on puisse essayer d’ouvrir celui des autres, sauf si tu baises avec l’autre. La famille, les pages écornés par tous ces gens qui sont passés, pas mal de cons, moi le premier, ces pages qui collent pas mal et on aimerait bien les enlever les foutres aux chiottes. J’ai essayé. La chasse, impossible de la tirer. Ces pages collent tellement que tu pourras raconter à tes petit-enfants un truc cool qui les fera rêvé. Même si ce n’est pas vrai, ils ne pourront pas vérifier, ils ne voudront pas décoller, pas de ton vivant.
Mon père me faisait toujours hurler de rire avec les histoires où lui et ses frères pétaient la jambe des copains qui venaient à la maison avec une chèvre et un pin où je ne sais quoi. Il ne les raconte plus trop aujourd’hui, un peu de mal à bien m’en rappeler. Comme un film qu’on a vu en boucle à 8 ans, on le connait par cœur, mais tout ne sort pas comme ça. Le petit nicolas c’était toujours un peu fade à côté des histoires que mon père balançait : Même enfance, même époque, même ambiance réac, mais le petit c’est Papa. À la différence de la fille de Goscinny, je ne peux pas me faire un fric fou avec ces histoires, prétextant saluer la mémoire du gars. Tout le monde s’en fout de mon gars. Je peux juste me les raconter pour pleurer un peu quand je suis extrêmement fatigué. C’est les derniers trucs auxquels je pense, les premiers trucs que je ne veux pas oublier.
Il neigeait quand j’ai enterré ma grand-mère et j’avais une boule aux ventres. Je prenais en photos les feux de position rouge des voitures devant, un peu la merde sur le périph, j’avais envie de faire caca. On s’est retrouvé dans un café à côté de Versailles, j’ai pu visiter les chiottes. Le mec était pas aimable. Ouais c’est vrai, mes grand-parents avaient quand même un peu d’argent, c’est pour ça que nous, on n’en a jamais trop eu. Il neigeait, cela faisait longtemps qu’il n’avait pas neigé et j’étais un peu dégouté de pas pouvoir faire une petite bataille avec les potes – Je ne parle plus à ces potes aujourd’hui. J’évitais de penser surtout pour ne pas regretter d’être un con, c’était trop tard. Pendant un enterrement il faut éviter pas mal de trucs, genre parler, jouir ou dormir. Je m’en rappelle n’avoir rien dit, je n’avais envie de rien sauf de sourire bêtement à ces gens qui ont dû parler à mes grand-parents plus que moi, des trucs importants, de la politique. Même les pompe-funêbres ont l’air d’avoir mieux connu mes grand-parents. Ils en parlaient mieux que moi autour de la clope devant l’église, pendant la messe. J’étais sorti pour envoyer un texto à une meuf que je courtisais, elle ne savait pas où j’étais, et je ne lui ai jamais dis. Les meufs du lycée, je les aimais parce qu’il fallait. T’es obligé de le faire, sinon…
Ce n’est que deux trois ans après que j’ai commencé à pleurer mes grand-parents, c’est venu comme ça. Je me suis dis que c’était con, je ne les avais jamais connu. J’étais un enfant et c’est toujours saoulant un grand-parent quand on est enfant. C’est un dimanche bloqué. Je regrette d’avoir pensé ça, sans pour autant me flageller, ça reste difficile de retourner sur le caveau, ils sont trois là bas à y pioncer pour longtemps, on s’y sent bien con. Souvent quand je sors du lieu, je préfère dire : « Si j’ai les yeux qui piquent, c’est parce que j’ai tendance à bosser dans le noir ». Ça ne convainc personne mais ça me permet de trouver un peu de force pour monter dans la voiture.