Cette violation de la loi suisse vient d'être confirmée par le Tribunal administratif fédéral (ici, d'où provient la photo ci-contre) dans une décision, qu'elle a prise le 5 janvier dernier (ici) et rendue publique aujourd'hui. Le communiqué du tribunal relatif à cette décision (ici) ne laisse place à aucune ambiguïté à ce sujet :
"B-1092/2009
Arrêt final du Tribunal administratif fédéral en la cause Clients américains de l'UBS
contre UBS/FINMA
La Cour II du Tribunal administratif fédéral a, par arrêt du 5 janvier 2010, jugé que la décision de la FINMA du 18 février 2009 ordonnant la transmission de données bancaires de clients de l'UBS aux autorités des États-Unis d'Amérique violait le
droit.
La Cour a constaté que les art. 25 et 26 de la loi sur les banques ne constituaient pas une base légale suffisante pour la transmission de données bancaires relatives à des clients aux autorités étrangères. Si ces dispositions habilitent la FINMA à prendre
des mesures protectrices en cas de risque d'insolvabilité d'une
banque, elles ne l'autorisent pas pour autant, eu égard au
texte et à la systématique de la loi, à transmettre
directement des données bancaires concernant des clients.
Le droit de nécessité constitutionnel ne peut pas non plus être valablement invoqué pour justifier la décision de la FINMA. Le Conseil fédéral est seul habilité, avec le Parlement, à en faire usage. En l'espèce, il n'a pas jugé devoir le faire. Même s'il
a effectivement chargé la FINMA de prendre toutes les mesures
nécessaires en vue d'éviter une procédure pénale de la part des
autorités américaines contre UBS, il ne s'est toutefois pas
prononcé sur le moyen à mettre en oeuvre pour y parvenir. Or, une autorité comme la FINMA ne peut décider de faire usage du droit de nécessité à la place du Conseil fédéral. Aussi, même si la FINMA se trouvait dans une situation critique en raison de la menace d'une procédure pénale contre l'UBS de la part
des autorités américaines, elle n'était pas autorisée, d'elle
même, à statuer sur la transmission des données bancaires
concernant des clients en dehors de la procédure ordinaire
d'entraide administrative internationale."
L'article 25 (ici) de La loi sur les banques indique dans quelles conditions la FINMA peut prendre des mesures protectrices à l'égard d'une banque suisse : surendettement ou problèmes de liquidités importants. Ce qui n'était évidemment pas le cas.
Dans mon article du 19 février 2009 (intitulé Secret bancaire : le "sauvetage" de l'UBS risque de coûter très cher ), je reproduisais l'article 26 de ladite loi et concluais :
"Il n'est nulle part indiqué que la FINMA peut autoriser la banque, en cas de risque d'insolvabilité, à lever le secret bancaire".
Cela aurait été, en tout état de cause, une bien curieuse mesure protectrice.
Quant au droit de nécessité, voici ce qu'en dit le Dictionnaire Historique de la Suisse (ici) :
"Droit d'exception, le droit de nécessité est lié à l'octroi des pleins pouvoirs, comme ce fut le cas lors des deux guerres mondiales, où ils furent accordés au Conseil fédéral. En cas de troubles (guerre, catastrophes), un droit de nécessité, préalablement préparé, peut être appliqué très rapidement. Ce droit, qui ne figure pas en tant que tel dans la Constitution mais peut s'appuyer sur les articles 52, 173 et 185 de celle-ci (1999), existe aussi dans les cantons; c'est ainsi que des "compétences dérogeant à la Constitution" sont prévues dans la Constitution jurassienne (1977), dans celle de la Thurgovie (1987) sous le titre de Notstand et celle de Glaris (1988) sous celui de Notrecht."
Au vu de tous ces éléments, on ne voit pas comment le Tribunal fédéral, devant lequel la FINMA et l'UBS peuvent faire recours, pourrait infirmer l'arrêt rendu par le Tribunal administratif fédéral.
Ce jugement a été obtenu par Me Andreas Rüd, l'avocat de clients américains dont les noms ont été livrés par la FINMA et "constitue une importante victoire d'étape pour ses clients" ( voir Le Matin de ce jour ici).
Toujours est-il qu'en disant le droit le tribunal a non seulement fait preuve d'indépendance, mais a par là-même sauvé l'honneur de la Suisse. La FINMA, en autorisant la livraison des 250 noms de clients américains par l'UBS, sans attendre la décision du tribunal, avait mis ce dernier devant le fait accompli. C'est ce qu'on appelle un coup de force, plus digne d'une république bananière que d'une démocratie comme la Suisse, en fait un acte déshonorant.
Dans mon article du 19 février 2009, juste après ce coup de force, je constatais :
"En fait le gouvernement, s'étant porté au secours de l'UBS, est bien obligé maintenant de tout faire pour qu'elle ne tombe pas, y compris d'approuver que le droit suisse soit foulé aux pieds et que le secret bancaire soit levé dans des conditions plus que douteuses.
Les conséquences risquent d'être incalculables pour toute la place financière helvétique."
A l'époque je pouvais encore reproduire l'explication, que je donnais dans un article en date du 22 octobre 2008 ( La Suisse, paradis fiscal ? Si seulement... ), sur la différence faite en Suisse entre fraude fiscale et évasion fiscale :
"La Suisse fait une distinction entre la fraude fiscale et l'évasion fiscale. L'évasion fiscale consiste à omettre de déclarer une partie de sa fortune ou de ses revenus. Elle n'est qu'une infraction administrative. Les Suisses et les résidents étrangers sont sanctionnés par une amende ou un rattrapage, les étrangers non-résidents ne sont pas sanctionnés et les banques n'ont pas le droit de renseigner le fisc étranger dans ce cas-là. La fraude fiscale consiste à soustraire frauduleusement des contributions au moyen de titres faux, falsifiés ou contenant de fausses indications. La fraude fiscale est punissable pénalement. Les banques doivent renseigner l'autorité judiciaire suisse ou étrangère à la demande d'un juge suisse compétent."
Aujourd'hui, depuis cette livraison de 250 clients de l'UBS, faite par elle avec la bénédiction de la FINMA, on mesure le chemin de croix parcouru par le secret bancaire helvétique. Tout cela pour sauver de la faillite une banque qui, dans ce dernier cas, aurait été vendue par appartements et dont les dirigeants auraient pu être traduits en justice. Ce qui aurait bien plu à Alain Jeannet (ici), le rédacteur en chef de L'Hebdo, lequel consacre cette semaine un dossier fulminatoire à l'UBS (ici).
Francis Richard
Nous en sommes au
538e jour de privation de liberté pour Max Göldi et Rachid Hamdani (de droite à gauche), les deux otages suisses en Libye